fermer X



Claude Bourianes

Infranchissable lumière


Il est des lieux où le destin fourbit ses foudres et dessine l’horizon impérieux d’une tâche à la mesure d’un homme et de sa création. Ainsi en alla-t-il, pour Claude Bourianes, du monde lagunaire et plus singulièrement du petit territoire de Port la Nouvelle où les installations portuaires le disputent aux lignes de fuite du rivage comme à la brûlure des pinèdes et des garrigues. Toutes les péripéties d’une vie l’ont ramené à ce monde d’étangs qu’il apprivoisa au plus près lors de multiples incursions avec la périssoire puis le canot indien qu’il se fabriqua, abandonnant à l’occasion l’ombre propice de son cabanon-atelier.

En fait c’est l’endroit qu’il choisit pour son activité essentielle : la peinture comme déchiffrement du mystère de la lumière. Commencée dès l’enfance, à travers d’hésitants essais calligraphiques, poursuivie par les exercices réussis de l’école, l’exigence du geste pictural se mua en passion, nourrie des revues disponibles alors, comme L’Œil, puis la rencontre décisive avec le peintre Piet Moget à La Nouvelle qui fut autant un maître affectueux qu’un compagnon exigeant de l’aventure esthétique. Avec lui il apprit la nécessité de la répétition, la satisfaction de l’inachèvement et le besoin perfectionniste et incertain de l’absolu. Ainsi pour Bourianes toute toile, tout dessin n’est qu’aventure, sorte de défi au temps qui commandera à l’acceptation de son achèvement ou à une longue attente à l’ombre des ateliers où la main essaiera d’apporter la dernière touche, parfois en vain, au terme d’une recherche faite de doutes et d’apaisement. Il y eut aussi les compagnons, Cézanne, le « patron », Bonnard, Vermeer, Turner, Bram van Velde, Hopper… Puis les complices, les défenseurs ardents de sa peinture, le cultivé libraire de Narbonne,  Olibet, la galeriste Thérèse Roussel à Perpignan, le poète Paul Pugnaud, et la longue théorie des fascinés séduits par l’originalité et la force d’une œuvre qui n’a jamais dérogé à ses principes, car jamais le but ne fut de « faire » pour plaire, mais plutôt, infatigablement, de trouver, de donner à voir l’invisible.

En effet, l’obsession, déchirante, depuis l’origine, reste le mystère de la lumière. Comment l’atteindre avec une palette qui ne joue que de quelques couleurs, démarre par le blanc, même pour les pièces les plus obscures puis emprunte la richesse du bleu outremer, du vert émeraude, de l’ocre jaune…et du noir que les impressionnistes ignorèrent à tort ? Comment saisir l’être même du monde quand la lumière le dissout ? Comment peindre ce réel qui n’existe que dans une abstraction qui, tôt ou tard, conduit à la disparition des formes ? Et puis, par un apparent détour, alors que les choses sont profondément unies, le peintre scrute la matière dans ce qu’elle a de plus monumental, de plus opaque : installations maritimes, quais, immenses cuves, alignement de cabanes sur la plage…le regard s’évertue à saisir, à dire le cœur de la beauté, toujours présente, mais toujours ailleurs, dans son échange infini et fructueux avec la lumière.       

© PNRNM tous droits réservés