Il fallait, au petit garçonnet du quartier populaire de la rue Corneille à Narbonne, la luxuriance des polyphonies et des chants, qu’il entendait lors des mariages et des fêtes familiales, pour retrouver l’âme du Maroc que ses parents avaient quitté pour un court séjour, croyaient-ils, avant de finir leur vie en France. Creuset de mémoire, paysage sonore où se déployaient les passions, la musique, immédiatement, exerça une véritable fascination pour le jeune Abdelatef. Mais personne n’était là pour lui servir sinon de mentor au moins de guide, et il lui fallait perfectionner son oreille, en dehors des moments festifs rituels, à l’aide de cassettes et de vidéos. Puis, ce fut l’acquisition d’un vieil orgue, les tâtonnements, le premier violon, les conseils arrachés çà et là au téléphone auprès de musiciens et les innombrables cordes cassées lors de l’apprentissage des accords. Aucun obstacle ne vint à bout de sa volonté d’apprendre et de jouer, bientôt récompensée et enrichie par de multiples rencontres.
En effet, tout le parcours d’Abdelatef est placé sous le signe du partage et du désir insatiable de découverte. Flamenco, musique arabo-andalouse, tradition sépharade… aucun des genres traditionnels en provenance du Maghreb ou du sud de l’Espagne ne lui est étranger. Et c’est aussi dans la fraternité des rencontres qu’il exerce son art, Thomas Loopuyt, Mohamed’Sahel, André Taïeb, autant de compères qu’il retrouve, en formation, lors des concerts de musique populaire aux tonalités berbères. Mais aussi Gérard Zuchetto, avec qui il interprète tantôt les pièces judéo-espagnoles du ladino, tantôt les troubadours, ou Laurent Cavalié, le chantre de la tradition populaire occitane avec lequel il enregistre plusieurs albums. Car le musicien chanteur cosmopolite est parfaitement trilingue, passant du français au marocain et du marocain à l’occitan avec la plus grande aisance. Sans doute est-ce cette curiosité et cette ouverture aux autres qui lui fait animer avec bonheur, dans des écoles ou au cœur d’associations, de fructueux ateliers, tellement il semble important à l’autodidacte qu’il fut, de transmettre technique et savoir.
Mais c’est aussi dans un arrière-plan, fait de paysages à la permanence paisible, que le musicien se ressource. Lieux, entre le Maroc des origines et les Corbières de l’enfance puis de la vie d’adulte, qui ne sont pas espace de déchirement mais plutôt de complétude. Répondent ainsi aux oueds et aux lumières intenses de l’autre côté de la Méditerranée, toutes les nuances des horizons commandés par la vigne. Univers familier au musicien depuis sa jeunesse, lui qui son CAP de menuisier en poche, empêché par une blessure, se tourna vers les cueillettes et les travaux saisonniers, devenant au passage un parangon dans la taille de la vigne. Là, dans les vignes, il chante à tue-tête, là il travaille les airs et les mélodies en des concerts improvisés qui scellent les noces de la musique et de la nature, du sauvage et du raffinement des civilisations les plus anciennes.