L’aventure de Jean-Louis Fabre oscille en permanence entre la fable et le conte. Le premier épisode de la saga fut la découverte par l’enfant, d’un os blanchi par la mer, difficile à identifier, en fait celui d’une baleine. Le garçonnet l’enferma dans sa boîte à trésor, avec les papillons, les tessons et toutes les autres trouvailles qui le fascinaient déjà. Il ne savait pas, à ce moment-là, que le destin venait de lui envoyer un signe. Puis, Jean-Louis Fabre, après des études supérieures, tournées vers l’élevage, se retrouva viticulteur, toujours attentif à ce que la nature pouvait lui offrir chaque jour comme découvertes, sur la propriété familiale.
En novembre 1989, c’est le coup de tonnerre, une baleine de vingt mètres et de quarnate tonnes échoue sur la plage de Port-la-Nouvelle. D’un coup ressurgissent, impérieux, les rêves de l’enfance et le vigneron, aidé de son épouse et de deux acolytes fascinés eux aussi par le cétacé, entreprend à l’aide d’une vieille 2CV, de bennes à vendange et d’autres outils du domaine, à transporter la bête. Dépecée et la viande revenue à la mer, fallait-il encore nettoyer la carcasse, et autre trait de génie, l’immerger dans un marais où les bactéries absorberaient les matières organiques. Vint ensuite le traitement à l’eau de Javel de tous les os puis le remontage du squelette à l’aide d’un ingénieux système de marquage fait de cordes et de ficelles. Cinq mois après, la baleine dépouillée retrouvait une nouvelle vie dans la pénombre d’une cave viticole où elle enchante, tout au long de l’année, les visiteurs émerveillés par cette insolite contemplation.
Exploit naturaliste, le sauvetage et la mise en scène de la baleine valent autant pour la singulière aventure humaine qu’ils représentent. Il fallait autant d’audace que d’énergie pour, après avoir prévenu les autorités, entreprendre de traiter, avec d’aussi modestes moyens, un animal si impressionnant. Il y fallait aussi le génie d’établir des correspondances entre le monde de la mer et celui de la vigne, en empruntant pour arriver à ses fins les outils destinés à cette culture, depuis le transport jusqu’aux traitements de conservation. Enfin, comment ne pas rendre hommage à la témérité sereine d’un homme solitaire dont les institutions reconnaîtront cependant le mérite en le faisant président d’un instrument précieux pour la communauté scientifique, le Groupe d’Etudes des Cétacés en Méditerranée ?
Mais, plus que les vanités de la gloire, ce qui lui importe c’est le partage de ses rêves, les longues heures d’explication qu’il consacre aux visiteurs, et surtout aux enfants des écoles, avant de leur ouvrir les portes de son cabinet de curiosités où les vestiges romains côtoient les haches préhistoriques, les fossiles des insectes ou des oiseaux rares. Néanmoins, aux heures pourpres, quand au loin chantent les baleines, scrutateur de mémoire, il reste le vigile attentif des songes cétacés et des échos marins.