Pour lui tout commence par le refus et l’engagement. Refus d’abord d’une carrière narbonnaise toute tracée entre fonction administrative et érudition archéologique comme son père ou son grand-père. A la place de cette quiétude annoncée, c’est l’engagement auprès des libertaires qui luttent, dans l’Espagne toute proche, contre l’envahisseur fasciste puis la participation à la Résistance à travers les chemins de la Catalogne et de Leucate. Horizon d’expériences indépassables pour le jeune écrivain qui espère que Paris lui ouvrira ses portes, comme à deux autres mousquetaires languedociens, auteurs de romans policiers, Georges J. Arnaud et Léo Malet. Mais comme eux, c’est surtout la vache enragée qu’il connaîtra commençant sa carrière par un tragique séjour en prison pendant six mois à la suite de négligences dans la gestion de la petite revue de poésie qu’il avait initiée. Les flics ont toujours raison, son premier ouvrage, tiré de son expérience, confortera à jamais les idées de ce révolté, véritable écorché de la vie, marquant en même temps le début d’une production romanesque policière intense, de plusieurs dizaines de titres, écrits sous autant de pseudonymes.
Véritable forçat de l’écriture, il touche à tous les genres, invente à la hâte des séries, des personnages, exploité par des éditeurs peu scrupuleux, plus avides de copie que de littérature. Classé trop hâtivement dans les romanciers de gare, André Héléna serait plutôt à ranger du côté d’un Paul Féval, d’un Alexandre Dumas ou des grands feuilletonistes du XIXe siècle, si son œuvre, très vite, n’avait fait le choix, plus moderne, du « roman noir ». Tous ses personnages qui semblent autant de héros issus de la tragédie grecque, vivent dans un monde glauque, désespéré, sans rédemption, autant de Bardamus qui se seraient égarés dans les bas-fonds de la pègre ou victimes des pires malheurs que peut réserver la monotonie du quotidien. Quoiqu’ils fassent, marqués à jamais, souvent sans raison, tels les héros d’un David Goodis ou d’un James Cain, ils sont condamnés à subir le pire destin, à avancer inexorablement vers une fin sanglante. Mais là s’arrêtent les ressemblances car Héléna, à l’image de ses protagonistes en quelque sorte, ne connaîtra pas la gloire des auteurs de la Série Noire de Marcel Duhamel et, même vers la fin de sa vie, le passage de cet auteur trop indocile pour se plier aux normes, dans la célèbre collection « Spécial Police », au Fleuve Noir, ne sera que très bref. Certains, cependant, sauront voir l’écrivain de talent derrière le tâcheron, rééditant ses meilleurs titres, encore qu’il semble que ce soit en Italie et en Allemagne qu’il connaisse le plus grand succès.
A la fin de sa vie, retiré à Leucate - ayant troqué l’inusable trench-coat américain qui était son uniforme parisien pour un imperméable noir, qu’il arborait sur la plage même au plus fort de l’été - il parcourait le rivage, mélancolique et solitaire comme s’il attendait que les nuages lui dictent les pages de son dernier ouvrage inachevé, La faim de tout…
Quelques romans ayant pour cadre la Narbonnaise :
Les salauds ont la vie dure.
Le festival des macchabées.
J’aurai la peau de Salvador.
Les clients du Central Hôtel.
Une bande dessinée :
Jean-Michel Arroyo et Jacques Hiron, La foire aux frisés : une aventure d’André Héléna.