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Louis Jammes.
« Lente traversée des apparences ».

« Je suis né dans une petite ville… », celle de l’enfance, des bonheurs anciens, mais aussi celle de la cruauté du monde, de l’école et de ses déceptions quand elle est tenue par des brutes de combats perdus et oubliés. Une ville que l’on quitte pour donner du sens au monde et à des rêves que n’offrent que des grandes cités, New-York, Paris… là où se perce le mystère des êtres, où le jeune plasticien conjoint les deux passions insécables et anciennes de la photographie et de la peinture, moments aussi où s’approfondissent les certitudes et l’exploration de chemins personnels. Moins, ou sans doute autant que les œuvres, ce sont les hommes qui comptent, le hasard fructueux des fièvres urbaines, décliné en autant de portraits devenus célèbres, d’Andy Warhol, à Robert Combas en passant par Jean-Michel Basquiat…  Mais déjà la photographie de Louis Jammes échappe à l’hypothétique captation du réel, créant ses incursions, obéissant au tâtonnement de ses propres règles. Après la révélation du bain le trait et les mots affirment leurs droits, la photo c’est la vérité de l’image recherchée à travers de multiples supports, des opérations de grattage, de rehaussage où se laissent lire, renaissants, les champs de fleurs de Van Gogh, les silhouettes acadiennes de Poussin, les ratures et les épaisseurs de Nicolas de Staël.

Au fil des ans, des méandres du quotidien, d’autres modèles se rajoutent, petit peuple de Barbés, aux silhouettes hiératisées, dont la seule fortune tient dans un sac, puis, de continent en continent, partout où les hommes souffrent, ces écrasés ou ces rescapés que des ailes d’encre transforment parfois en anges. La quête reste la même, par delà les aléas et les frontières, le questionnement à travers la création photographique de ce qui nous fonde provisoirement, de ce qui nous détruit. Au cœur du monde ce qui importe, au-delà de l’horreur au bout du compte convenue et acceptée au long des reportages traditionnels, c’est le mystère, une fois encore, des êtres enfermés entre salut incertain, disparition et oubli. Le photographe travaille, avec eux, vit avec eux, leur donne quand il peut un polaroïd de leur image, comme dans les ruines de Sarajevo dévasté il affiche les créations que lui commande le malheur. Ainsi, lucides, les grands centres d’art contemporain ont entrepris de garder trace de cette douloureuse et fructueuse épiphanie, accueillant dans leurs cimaises les photographies de Louis Jammes.

A la saturation des maux, au moment où s’achève le siècle, surgira une autre rencontre, celle de l’apaisement, celle d’un peuple quasiment oublié, les Dolgans, à peine accessible dans son nomadisme sibérien. De rencontre en rencontre c’est l’irruption, pour celui qui ne respira longtemps que dans les villes, d’un univers animiste où les gestes et les mots du quotidien tissent la simplicité symboliques des liens avec la nature. Avant l’étape de l’aujourd’hui, des dernières photographies où, à la mémoire des migrants, des nomades inlassablement pourchassés, se mêlent les retrouvailles, aux lisières de l’enfance et du déchirement, des paysages d’autrefois, perspectives littorales, chemins de poussière blonde, bordés de roseaux, laissant deviner, impérieuses, les paix les plus anciennes.      

          


photographie © Mahmoud Abou Zied


texte écrit par Jean-Pierre Piniès

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