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Hernan Ojeda
Passeur entre deux mondes

Rien de surprenant, quand on connaît sa réputation ancienne, que le jeune Argentin passionné par la viticulture et l’œnologie choisisse de quitter son institut de recherches (INTA), pourtant prestigieux, pour poursuivre ses études et passer sa thèse à l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie de Montpellier. Outre leur renommée, les deux institutions ont en commun d’être des pionnières de l’observation des changements climatiques et des modifications de conduites agricoles qu’il va entraîner. Et, dans ce domaine, les recherches les plus avancées ont lieu à Pech-Rouge, station expérimentale de l’INRA, près de Gruissan. Longtemps décriée ou crainte à cause de son image liée à la surproduction, il apparait maintenant clairement que l’irrigation de la vigne, dont Hernán Ojeda et son équipe peaufinent de nouveaux protocoles, va jouer demain un rôle capital.
Autre défi que le chercheur entend relever, celui de la diminution du degré alcoolique des vins proposés au marché. En quelques décennies le paysage œnologique a connu des transformations d’importance ; finies les piquettes, finis les petits vins de naguère, remplacés par des crus capiteux au fort degré alcoolique permis par les cépages améliorateurs, avec pour conséquence plus de trois degrés d’augmentation moyenne. Or, retour des choses, s’il veut boire mieux, le consommateur veut aussi des produits moins intenses. Usant de l’alchimie que recèlent les caves, les praticiens savent proposer des solutions aux viticulteurs, mais tout reste à faire quant aux cépages implantés et, pour atteindre les résultats souhaités, les modes de conduite de la vigne, mais aussi les variétés cultivées, devront changer.
Et c’est là, en fait, le principal challenge qu’Ojeda et son équipe entendent relever, pari qui ne repose pas seulement sur les avancées technologiques, mais aussi sur une nouvelle perception de la durée et de l’adaptation et qui demande à surmonter d’apparentes contradictions. Le viticulteur reste attaché, en effet, à un certain nombre de topiques qui sont au fondement de sa culture, de sa vision de la vigne et du vin. Petit à petit, en Languedoc ou en Roussillon, il a consenti à tous les efforts qui lui ont été demandés pour faire un vin de qualité, loin de l’image ancienne du « gros rouge qui tache ». A peine y est-il parvenu qu’on lui demande de remplacer par des vins plus légers ses produits trop puissants, de jouer sur le cycle naturel à l’aide de l’irrigation… Par ailleurs, là où il attend des réponses immédiates, les instituts et les chercheurs lui demandent du temps avant de conclure leurs essais, pour éviter les risques et les dangers dûs aux modes. Mais, paradoxalement ce sont ces attentes et ces questionnements qui font la richesse des rapports entre la filière et l’ingénieur, et du Languedoc un véritable laboratoire où se préparent les meilleurs lendemains. Observant, écoutant, conseillant le chercheur, loin de l’image du savant lointain enfermé dans son laboratoire se fait ainsi passeur entre deux mondes, celui de la tradition et celui de la modernité.

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