© GIsèle Freund




Pierre Reverdy,
Le poète intranquille

Nul peut-être, plus que Pierre Reverdy n’a vécu les affres du déchirement dans une ligne de vie constamment placée sous les signes du partage et de l’incertitude. Au plus loin, l’enfance. Dans son double horizon, celui de la Narbonnaise du début du siècle aux étés brûlants, marquée par la crise viticole et la tragédie de 1907 avec, en écho, la propriété de Moussoulens, au pied de la Montagne Noire, la fraîcheur de ses sources, l’Eden où l’enfant vivait au milieu des bêtes et de la beauté. Puis les années noires, terribles, celles de l’école, avec leur cortège d’ennui et de désespoir. Là tout se désséche et meurt, les plaisirs disparaissent, loin du père, fin et aimable lettré, du grand père sculpteur, auteur, dit-on, de la grenouille du bénitier de Saint-Paul à Narbonne. Vient ensuite la ruine familiale et le départ pour Paris. Commencent de longues années d’une précarité qui confine au dénuement, dans des domiciles mal chauffés et bruyants. L’époque est celle des petits métiers, à peine payés, de correcteur ou de prote, qui auront pour mérite d’apprendre au jeune poète à fabriquer ses propres recueils.
Paris c’est aussi les rencontres décisives avec les peintres, Juan Gris, Picasso, Braque, avec les poètes, Max Jacob, Apollinaire… la création de la revue Nord-Sud, emblème auquel se rallieront immédiatement les jeunes surréalistes, Soupault, Aragon, Breton qui rendent immédiatement hommage à Reverdy qu’ils admirent comme un maître. Les traits du personnage se fixent aussi, les cheveux noirs, la longue mèche rebelle, les yeux fiévreux, la silhouette robuste de gitan illuminé, les colères homériques, les discours sans fin d’une voix rocailleuse. Le tout au service d’une œuvre singulière dont il est coutume de dire qu’elle faisait écho, en littérature, aux recherches de ses amis cubistes comme ont été aussi appelés à la rescousse, pour mieux la lire, le symbolisme finissant, Mallarmé… L’essentiel se situe sans doute ailleurs, dans la lutte qu’elle a entreprise avec la réalité « dans cette difficulté effroyable à le saisir », dans la « tentation du faux-semblant », dont il sait pourtant qu’il n’est que rêverie et refuge. Ainsi va la création, au fil des recueils, dans une quête répétée car toujours insatisfaite, marquée par une reconnaissance dont le poète se moque, tant, selon lui elle l’éloigne de l’absolu qui le hante. Aussi au faîte de la renommée choisit-il la solitude religieuse de l’abbaye de Solesmes, « son libre arbitre lui faisant choisir Dieu », mais une solitude aussi déchirée que sa vie parisienne, à laquelle il revient parfois, dans les crises de doute et les vacillements de la foi. Là, aussi exigeante, moins prolixe mais toujours fertile, se poursuit une œuvre qui innerve désormais toute la littérature contemporaine.
Pourtant jusqu’aux derniers jours il dit sa mélancolie de l’horizon indépassable, chimérique, celui de l’alliance flamboyante du schiste et des vignes des terres de l’Aude que, de projet inabouti en tentative remise, il ne reverra plus.

texte écrit par Jean-Pierre Piniès

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