Du mouvement avant toute chose, dans le fragile équilibre entre simulacres et contradictions, telle pourrait être la devise de Pierre Richard. Les sources en sont lointaines chez ce descendant d’une riche famille industrielle, moins attaché aux ors de Polytechnique dans lesquels voulait l’enfermer un de ses grand-père qu’aux pêches fabuleuses, à Ancône, en compagnie de l’autre, chantre de la liberté et de l’imaginaire. Les contraintes, les espérances familiales, les longues années de pensionnat avec son cortège de brimades et d’ennuis, ne parvinrent pas à brimer la fantaisie et la curiosité du jeune homme découvrant dans l’ombre d’une salle de cinéma celui qui déclenchera sa vocation : le survolté et imprévisible acteur américain, Danny Kaye. L’un comme l’autre sont épris de loufoquerie, ils accordent la plus grande place au rire et à la dérision. Mais l’ambition de Pierre Richard va bien au-delà de la simple pitrerie. Chez lui l’entreprise comique se veut un moyen d’être au monde, d’y tenir sa place, d’aller au-delà des apparences, de débusquer, à travers le rire et la satire, les injustices et les travers des jours. Ainsi en va-t-il au long d’une carrière riche en succès, en « classiques », d’ « Alexandre le bienheureux » au « Grand Blond à la chaussure noire » en passant par « La carapate », « Un nuage entre les dents » ou tant d’autres… Le rire n’y est jamais qu’un instrument au service de l’acuité du regard, largement inspiré et soutenu par la pantomime. En effet, en permanence à l’incongru des situations fait écho le corps disloqué de l’acteur, insaisissable silhouette qui semble s’échapper « naturellement » à la pesanteur et à la trivialité du quotidien. Au théâtre aussi on retrouve ce mélange de subtilité et de discrétion qui fait jouer à Pierre Richard aussi bien Brecht que Feydeau…Sans oublier le goût de la liberté qui lui fait retrouver avec un bonheur intense d’acteur les rêveries et les personnages de l’enfance, de Vitalis à Robinson Crusoë. N’est ce pas aussi l’empathie pour les plus faibles qui le fait s’engager auprès des indiens de Colombie qui défendent leurs terres, de ceux de Belo Monte qui refusent un barrage dévastateur, ou aider les paysans du Niger à construire leurs puits ?
Puis, au hasard des pérégrinations dans le Sud c’est, pour le comédien, la découverte, auprès des étangs d’un domaine viticole à l’abandon, Bel-Evêque, près de Gruissan. Moins qu’un coup de foudre ce fut un apprivoisement, aussi lent qu’assuré, une halte pour le saltimbanque entre les routes incessantes des spectacles ou l’horizon du Brésil. Lenteur donc de la découverte, celle des secrets du paysage entre lagunes et collines, entre grottes et salins, de la paix d’une mer au calme parfois trompeur, mais aussi celle qui préside à l’alchimie du vin qui va transformer des produits voués à l’oubli en crus talentueux. Souverain débonnaire et souriant, cultivant l’hospitalité, Pierre Richard y règne donc sur les saisons, enivré des reflets émouvants qu’offrent là, au long de l’année, le spectacle des jours.