Faisant mentir le mélancolique constat mallarméen, Michel Sanche a su, depuis toujours, dès les premières lectures de l’enfance, que le monde des livres serait pour lui infini et qu’à jamais, à travers grands malheurs ou petites souffrances, il lui offrirait les baumes de l’asile et du refuge. Sans doute est-ce cette certitude qui commanda à une longue itinérance qui le vit partir de son village cévenol natal pour les mirages vite dissipés de Montpellier, assoupie dans sa quiétude provinciale. C’est à Paris que débutèrent de riches années de bohème, où les livres tinrent une grande place, ceux des lectures bien sûr, mais aussi et surtout ceux chinés sur les marchés aux puces puis revendus à la sauvette. Devenue plus sûre, l’aventure ne suffit plus à ouvrir assez d’horizons et c’est l’Ardèche, avec comme base une vieille maison dans un hameau isolé, qui devint le nouveau territoire. Là, au fil des saisons, parcourant les marchés, Michel Sanche perpétua son activité de bouquiniste éclairé, faisant son miel de la sauvagerie des paysages et de la richesse des rencontres. Puis, la volonté de donner une scansion à ce nomadisme lui fit chercher un lieu plus durable, une façon plus traditionnelle aussi d’aborder la librairie. Et ce fut Narbonne, ville souvent traversée dans sa transparence, qui eut le bonheur d’accueillir les deux associés de Libellis, la petite mais combien fertile librairie de la rue Droite ! Là depuis dix ans, il sait concilier les contraintes, la nécessité de la gestion rigoureuse qu’impose le commerce du livre, les multiples tâches ingrates du quotidien, avec le plaisir toujours renouvelé de la recherche de la découverte, de l’émotion, lors des heures que les soirées et les nuits lui permettent de consacrer à la lecture. Mais, gestionnaire efficace par nécessité, le libraire, s’inscrivant dans une longue et féconde tradition, est avant tout un passeur. Arpenteur de la littérature et du monde des idées, il guide, il conseille, il fait découvrir et ainsi, se faisant prescripteur, il est amené à faire partager ses passions, telle celle qu’il conçut immédiatement pour le livre du colombien Hector Abad, L’oubli que nous serons. Médecin assassiné par des trafiquants corrompus dont son fils se met à hanter la mémoire, l’ouvrage, servi par la richesse de son écriture, souligne au mieux la vocation pérenne et impérieuse de témoignage et de dénonciation qui est celle de la littérature.
Le monde, pour autant, pour lui, ne s’arrête pas au seuil de la librairie, et la rencontre sans doute décisive fut celle du territoire, de ses mystères fructueux, de la langueur des mondes lagunaires jusqu’à l’ensauvagement ombreux des hautes Corbières ou la lumière minérale des serres. Au final donc, écho au bruissement des pages, se dessine, pour lui, une vaste mappemonde littéraire, où entre étangs aux gris assoupis et brutalité solaire des serres, qu’ombrage çà et là un cyprès, se laisse lire une Toscane stendhalienne ou deviner une combe dans laquelle Jean-Jacques herborise impénitemment.