Rejetée parce qu’imposée dans l’enfance par un père instrumentiste, oubliée puis retrouvée dans de nouvelles formes, contestataires et festives, utilisée pour le plaisir, dans un premier temps sans souci de création personnelle, la musique dans l’univers de Laurent Cavalié ponctue un parcours personnel fait de méandres, de détours et d’enthousiasmes avant la plénitude lumineuse et sereine des retrouvailles et de l’approfondissement. Au bout de l’adolescence, oubliés les cours de piano ou de guitare classique de l’enfance au profit de la liberté des rythmes free ou afro-cubains, des bœufs irrésistibles, oubliée la rigueur normative du solfège au profit des chansons de la musique vivante. Puis, pendant près de dix ans, en même temps que les premiers cachets, commence et se poursuit un long compagnonnage avec le théâtre sous des formes diverses, réponse à des demandes de création, séances d’apprentissage destinées aux comédiens, musiques jouées en tournée avec le Théâtre de la Rampe, La Carriera ou bien Avant-Quart qui fixe dans l’Aude cet immigrant du Tarn et de la Montagne Noire.
L’interruption du nomadisme c’est aussi une découverte lumineuse, le déchirement d’un voile : l’occitan dans lequel la grand mère interpellait ironiquement son petit fils, Vai t’en te faire coire un iòu !, n’était pas du français déformé mais une vraie langue et le véhicule d’une culture qu’il s’agissait de redécouvrir. Dès lors se met en place une longue recherche où s’entremêlent des plans différents et complémentaires. Après la lecture des recueils de Canteloube, c’est, d’abord, le repérage, à travers les revues, les livres, les almanachs…de toutes les traces, même les plus infimes, qu’ont laissées la musique et la chanson populaire languedocienne. Heureusement à ce travail ingrat font écho les recherches sur le terrain, les entretiens, et bientôt la collecte chaleureuse effectuée lors de veillées commandées par les échanges : le musicien et le chanteur interroge mais à son tour, avec ses compagnons, il interprète. Car s’il compose et joue en solo, Laurent Cavalié a servi de mentor à un sextuor vocal féminin, La Mal Coiffée, et créé un groupe avec deux complices, Du Bartàs, fait d’un luthier et un d’autre chanteur. Dès lors de concerts en veillées, d’animations culturelles en bals populaires, seul ou avec ses compères, le musicien explore une voie originale. Plutôt que de s’enfermer dans l’éphémère de mélodies à succès, ou même dans des créations plus ambitieuses coupées du quotidien, il choisit de croiser les fils de la tradition et de la modernité, de montrer comment les constructions sonores et vocales les plus anciennes d’une civilisation peuvent donner une nouvelle force au présent, comment ce dernier, en usant des rythmes et des instruments les plus modernes peut vivifier la tradition. Chanter, jouer, deviennent dès lors un travail de mémoire et de création, un échange permanent où le présent, en reconnaissant sa dette au passé, ouvre au futur les chemins les plus fastueux.
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texte écrit par Jean-Pierre Piniès