Nul, mieux que lui, ne semble mieux illustrer l’harmonie profonde et la complicité qui lient certains lieux à ceux qui les occupent, les font vivre et assument, enfin, leur destin, telle ici l’abbaye de Fontfroide. Oasis au profond des Corbières cette abbaye cistercienne, fondée en 1093, se fit citadelle de l’orthodoxie dans la lutte contre les cathares et fournit même un pontife, Jacques Fournier, qui prit le nom de Benoît XII. Sa richesse lui valut nombre d’envies et de vicissitudes au cours des siècles jusqu’à sa vente comme bien national, puis, en 1902, l’exil forcé des derniers cisterciens et son rachat, par Gustave Fayet et son épouse, en 1908. Artiste peintre, créateur aux multiples talents, ami de Odilon Redon, de Georges Daniel de Monfreid, de Maillol, collectionneur éclairé de Degas, Pissarro, Gauguin, amoureux de la musique, mécène accueillant tout ce qui faisait la vie culturelle de son époque il entreprit avec son épouse de restaurer, avec bonheur, le monument abandonné en bonne part aux ronces et au lierre. Enchanté des compositions de Ricardo Vinhès, de Ravel ou Déodat de Séverac, décoré de fresques par Odilon Redon et de vitraux de Richard Burgsthal, Fontfroide devient ainsi, jusqu’ à la mort prématurée de Gustave Fayet, en 1925, un haut lieu de l’esprit.
Il revenait aux siens qui s’y sont employés avec la plus grande ferveur, malgré toutes les difficultés matérielles des temps, de préserver et de poursuivre l’œuvre initiée par l’aïeul, mission aujourd’hui confiée par sa famille, à Nicolas d’Andoque. Ainsi l’ancienne abbaye peut-elle être découverte au cours de visites commentées qui permettent d’en admirer la richesse architecturale et la beauté de ses jardins dont la célèbre roseraie, mais elle accueille aussi, durant toute l’année, de nombreuses manifestations, qu’elles prennent la forme d’expositions, de conférences, de floralies autour des orchidées, sans oublier la production de vin et d’huile d’olive renommés.
Pour autant au cœur même des préoccupations de Nicolas d’Andoque, la musique garde sans doute la meilleure place dans la mesure où elle permet de concilier l’exercice des arts, en faisant chanter les pierres de l’ancien couvent, tout en respectant l’essence même de l’espace sacré qui l’accueille. Aussi bien le Chœur grégorien de Paris que les formations dirigées par Jordi Savall, voire la musique contemporaine, quand elle sait y trouver sa juste mesure, participent à cette aventure spirituelle qui, en fin de compte, s’inscrit dans la recherche éperdue du temps de la plénitude originelle. Jour après jour, lutteur infatigable attaché à son œuvre Nicolas d’Andoque poursuit donc l’action de restauration et de mise en valeur qui lui a été confiée. Et au soir, sur les terrasses de l’abbaye, rêvant à la splendeur passée, il semble écouter, figé et silencieux, le dialogue mélancolique des roses et des sculptures de pierre, faisant écho aux répons des moines s’apprêtant à ouvrir les portes de la nuit.
. Gustave Fayet « Vous, peintre… », Elne, Musée Terrus, 2006.
. Fontfroide 1908-1914. Au temps de Fayet et de leurs amis, Fontfroide, Cahiers du musée d’Art Gustave Fayet, 2008.
. Nicolas d’Andoque, Ancienne abbaye cistercienne de Fontfroide, Moisenay, Editions, Gaud, 2008.
. Oculus, Bulletin de l’association des Amis de l’abbaye de Fonfroide, 16 numéros parus.
texte écrit par Jean-Pierre Piniès