Aussi loin que remonte la mémoire, tout n’est qu’allées et venues au long de frontières imaginaires ou sur les limites coloriées en pastel telles qu’elles figurent sur les cartes des livres de géographie. Entre-deux d’abord du lieu d’origine, entre mer et marais, aux confins de la Bretagne et de la Vendée, puis alternances vagabondes, au gré du hasard, ponctuées de longues haltes, mais toutes tournées vers un Sud qui ne s’offrit qu’après de lentes approches. Avant le Languedoc solaire il y eut la minéralité sauvage et brumeuse du Tarn, la découverte du Pic de Nore, la monotonie dorée des plaines du Lauragais, un long séjour à l’entrée des Corbières, avant la mer, les méandres lagunaires et ses constructions éphémères.
Déambulations variées mais la plupart effectuées selon la bonne clé qui offre le rythme du monde, la marche, seul ou avec un âne, une carriole, une roulotte, dans des péripéties qui affirment sereinement une identité « gitane », nourrie en son cœur des joies et des délices imprévus du nomadisme. Marche qui sert à parcourir le monde mais aussi à le dire et à en déchiffrer le sens à travers toutes les rencontres, les mobilités et l’indécision impérieuse des errances. De fait c’est dans la lenteur et l’approche paisible que les territoires se donnent à lire et acceptent, choses et gens confondus, de livrer quelques uns de leurs secrets.
C’est sans aucun doute le même vagabondage qu préside aux aléas fructueux d’une création artistique protéiforme, commandée, avant toute chose, par le principe du plaisir et la satisfaction de la chose bien faite . Au début, mystérieuse et innée, il y a la maîtrise des lignes et des formes, un rapport naturel au dessin et à la représentation des choses , doublé aussi d’un goût absolu pour l’ébénisterie et le travail du bois, hérité, lui, dit la tradition, d’un grand père jamais connu. De rencontre en rencontre cet imaginaire s’élargit vite à nombre de disciplines, commandé par cet émerveillement enfantin et la volonté, doublée d’une modestie infinie, d’embrasser toutes les pratiques artistiques, de Franck Dautais. Peu à peu, maraudeur de mots aussi précieux que des fruits dérobés au meilleur de l’été, il se lance dans l’écriture de textes ou de pièces ; auparavant la création de décors l’avaient amené vers le théâtre, le régisseur initial se faisant comédien ou metteur en scène, accueillant aussi, avec sa complice Charlotte Piveteau, de nombreuses troupes aux Granges de Benoce, participant à de multiples spectacles et animations de rues, à des festivals populaires. De fait tout se mêle dans le canevas du quotidien où l’acteur sculpte, où le poète construit des cabanes ou des roulottes, où les aquarelles racontent, subrepticement, les rêves et l’au-delà du réel.
En vérité tout se meut et tout est en instance, l’atelier est monté sur roulettes, la « carabane » est prête et Safran, l’âne, attend impatiemment dans son pré, le signal de son maître pour le départ sur de nouveau chemins, dans l’incertitude somptueuse des jours.
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texte écrit par Jean-Pierre Piniès