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Henry de Monfreid.
Quoi ? - L’Eternité.

C’est la mer allée
Avec le soleil.

Au plus loin, au cœur de l’enfance, surgissent déjà, impérieux, les mouvements de la mer et ses horizons sans limite, le sable et le vent de La Franqui, les premières impressions, durables : le corps du mousse noyé et rejeté au rivage, la pêche miraculeuse de poissons tués par le froid, le cabotage, au long de la côte catalane, d’un père rêvant d’infini. La mer toujours présente, du grand bassin originel aux rivages exotiques de la Corne de l’Afrique, la mer c’est le royaume parcouru au fil des saisons  d’une longue vie, souvent oblique dans ses apparences, mais toujours placée sous le signe de l’aventure. Le jeune Monfreid ne manqua que de peu son entrée à Centrale et sans doute est-ce cette vocation inaboutie qui en fit ce capitaine d’industrie au destin capricieux : gérant des livraisons du fameux Planteur de Caïffa, inspecteur de fonderie, contrôleur de qualité chez Maggi du beurre et du lait, propriétaire à son compte d’une grande laiterie, soumissionnant plus tard, en Afrique, pour la construction d’une voie ferrée, directeur d’une minoterie…rien ne découragea jamais l’entrepreneur, marqué par les ambitions de sa jeunesse.  

Mais l’image qui reste de lui c’est cette figure aux frontières du mythe, nourrie par son œuvre abondante, de l’aventurier au long cours, toujours avide de nouvelles expéditions, peu soucieux des lois, enivré autant par le danger et  les découvertes que par les incertitudes des lendemains. Modeste commerçant de cuir, de peaux et de café en Abyssinie à ses débuts africains, il se fit ensuite, chasseur, cueilleur de perles et trafiquant de tout ce qui pouvait être vendu à condition d’audace et de témérité : les armes, la drogue, les pierres précieuses, peut-être les esclaves. Maraudant dans les jardins du petit village du Berry où il finit sa vie, dérobant çà et là des fruits, sans doute se souvenait-il avec délice des coups de main de naguère.  

Cette liberté eut pourtant un prix, et ceux-là même qui profitèrent des renseignements précieux de cet espion occasionnel, mais aussi bon connaisseur des confins exotiques, lui firent connaître, à plusieurs reprises, les rigueurs de l’emprisonnement. Mais comment venir à bout de cet homme hors normes, exécrant la morgue des Européens exilés, vivant au plus près des populations indigènes, s’habillant comme elles, partageant leur langue et leurs coutumes avant de prendre, converti à l’Islam, le nom d’Abd el-Haï ? Comment s’étonner, dès lors, du chacal, des mangoustes ou du caméléon dont aimait encore à s’entourer, dans la paix provinciale de l’automne de ses jours, ce vagabond aux pieds nus et aux accoutrements insolites qui surprenait tant les populations locales ?

Revivant à jamais, les dernières années, dans les fumées de l’opium, à travers la multitude de ses ouvrages entre fiction et autobiographie, les péripéties d’un fastueux destin, Henry de Monfreid, guette maintenant, depuis la falaise blanche de Leucate où il repose, le va-et-vient, toujours renouvelé, des flottilles pirates de la mémoire.

texte écrit par Jean-Pierre Piniès


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