De cet homme discret, aussi connu que peu prolixe, qui vit une bonne part de l’année sur le territoire de Bages, retenons d’abord cette phrase : « Je garde un bon souvenir de Mai 1968… ». La confidence trahit assez l’honnête homme, bien conscient de ce que l’époque, brève, fit pour la liberté de la parole et le goût qu’elle eut des mots et de l’écriture, traits qui se retrouvent comme une constante chez Pierre Dumayet, randonneur incessant de l’imaginaire et de la littérature. Il aurait voulu être pharmacien, il fit des études de philosophie …dit plaisamment, ailleurs, un des fragments des rares notices biographiques qui lui sont consacrées, échos fidèles, dans leur concision, de sa discrétion et sans doute aussi de son écriture. Pourtant tous savent le grand journaliste qu’il fut participant à de nombreuses émissions mythiques de la télévision comme Cinq colonnes à la une, couvrant audacieusement et en toute indépendance les grands événements du monde, sous la houlette de Pierre Lazareff, en compagnie de Igor Barrère, Eliane Victor et Pierre Desgraupes, le compagnon de tant d’aventures, dont celles commencées tout au long d’émissions radiophoniques puis continuées à la télévision dont il fut un pionnier, après la guerre.
Mais l’image la plus forte reste la passion infinie pour le livre et les écrivains, que leur œuvre soit commentée sans eux ou, le plus souvent, avec eux, en des entretiens à la forme unique, la mémoire retenant de ce foisonnement l’émission culte que fut Lecture pour tous. L’auteur savait qu’il était lu, et ce avec la plus grande attention par un critique qui s’efforçait, au delà des conventions de faire surgir une parole libre et véritable. Il y usait d’une tactique imparable faite de sourire et de silence que d’aucuns voulurent voir comme des armes alors qu’elles n’étaient que signe de respect et d’écoute. Plus que « le diable en personne », pour reprendre le mot d’un Mauriac subjugué par l’exercice, Dumayet est un passeur, confiant à la durée le soin de construire une mosaïque qui est un miroir où se confondent et s’exposent, avec éclat les passions des deux acteurs de ces singuliers dialogues. Au-delà de ces émissions-culte, tout au long de nombreux films tournés pour la télévision avec son autre complice Robert Bober, il a arpenté le champ des signes lisant et relisant, ouvrant des portes inconnues, esquissant des chemins en de stimulantes allées et venues, demandant au détail de révéler la vérité du monde. La passion pour Flaubert (il lui a consacré plus de vingt-huit émissions) en reste sans aucun doute le modèle le plus luxuriant. Ainsi scrute-t-il les jours fastes ou craints chez Madame Bovary¸ le nom d’un fusil ou un dialogue muet d’ombres chinoises pour leur faire dire une vérité invisible dans le même ouvrage, quand il ne tisse pas le lien qui relie la diligence rouge et verte qui inspira Daudet puis Van Gogh.
Puis, parmi plusieurs livres, il y a L’étang*, ce beau texte sur les hauts murs du Sud déchirés par les vents qui commandent aux hommes et au vol des sternes, les mouvements imperceptibles des barques à fond plat, le silence fraternel des pêcheurs, le monde enfin en un raccourci solaire.
* publié dans l’ouvrage collectif La Narbonnaise en Méditerranée, regards croisés sur un Parc naturel régional », 2006.
Repères bibliographiques :
- Vu et entendu, 1965.
- La tête, 1980
- Narcisse, 1986.
- La vie est village, 1992.
- La Maison vide, 1996.
- Autobiographie d’un lecteur, 2000.
texte écrit par Jean-Pierre Piniès