Marie-Lise Fougniès,
Les frontières abolies

Il ne fallait pas moins au premier, le grand-père, venu de Béziers, professeur de dessin, peintre, occitaniste éclairé et passionné d’histoire, que la petite maison au bord de l’étang de La Palme dont il orna les murs de silhouettes de femmes aux ombrelles, pour fixer le destin de Marie-Lise Fougnies. Toutes minuscules variations spatiales confondues, les aléas du monde et des jours ne pourront rien contre ce havre lagunaire, même la décision prise dans la pénombre du pensionnat de parcourir le monde en tant que traducteur interprète. Enracinement et obstination surent conjuguer au mieux leurs vertus, et, dès qu’elle le put, la jeune fille rejoignit la prestigieuse école d’interprétariat de Genève pour une formation qui allait durer cinq années, remplies de découvertes et d’aventures. L’Espagne d’abord. Les traductions pour le musée du Prado à Madrid et toute la Vieille Castille parcourue à pied en de longues itinérances émerveillées, la musique gitane, la passion amoureuse puis la rencontre des arts et de la matière. Des études dans un collège de Cambridge où les fils de lords côtoyaient ceux de princes arabes ne lui feront jamais oublier la lumière du Sud dont l’intensité, renouvelée, ne vient jamais au bout de son mystère.

Commence alors un autre apprentissage, celui de la céramique, qui durera trois ans, aux Beaux-Arts de Madrid, la création d’azulejos et de pièces traditionnelles, avant la découverte de la terre chamottée à la limpidité ivoirine, mêlée de fragments. Des saisons durant à La Palme la céramiste crée, avec de plus en plus de succès, dans un registre qui va du coffret à bijoux à la conception et à la réalisation de luminaires pour des hôtels entiers. Au point que débordée par la tâche et une production où la demande quasiment industrielle étouffait la création, la plasticienne choisit d’en revenir à ses premières amours en devenant guide-interprète : d’abord en France, dans le Grand Sud et le « Pays cathare », au sein d’une association fertile dont elle est présidente, puis « guia official » de l’exigeante Catalogne, abolissant le temps et les frontières dans l’exaltante rencontre d’une vieille civilisation retrouvée.           

Mais le vrai royaume, celui du cœur, des échanges et de la création reste à La Palme, au cœur de ce Midi noir hanté par la figure tutélaire du gisant de la rue de Verdun à Carcassonne, Joë Bousquet, qui y passa le meilleur de son enfance puis de sa jeunesse, reconstruisant dans le silence des nuits sans fin, à travers La fiancée du vent puis les beaux récits du Roi du sel, la cosmologie lumineuse et sauvage de cet entre terre et mer à jamais mystérieux. Là, depuis des années, à travers des actions, spectacles, animations, expositions, lectures, au cours desquels la générosité et la passion remplacent de chiches subsides, se commémore, dans un élan retrouvé, les plus belles pièces du poète. Ainsi, dans la douceur apaisée et chaleureuse des nuits d’été, où la parole emprunte les chemins les plus incantatoires, où les textes deviennent source de convivialité jaillissante, Marie-Lise Fougnies se fait passeuse infatigable de la beauté et de l’harmonie.



texte écrit par Jean-Pierre Piniès

fermer X

© PNRNM tous droits réservés