Prote dans son royaume, préférant les parfums de la casse à la monotonie de l’école, Fernand Gautier, s’inscrivant dans une tradition familiale, se fit à son tour imprimeur. Mais imprimeur singulier, réfractaire, dès son choix de rejoindre le maquis pour échapper au STO, assez original aussi pour fabriquer les faux laissez-passer, passeports pour l’amour absolu, qui lui permettront de rejoindre celle qui fut la compagne d’une vie, en Allemagne occupée.
Ce parcours insolite il le poursuit, en prenant soin de toujours lier plaisir fructueux des rencontres et recherches graphiques. « L’Atelier Narbonnais », « Ateliers de Recherches Graphiques », « Recherches Graphiques », les noms des groupes se succèdent mais l’entreprise reste fidèle à elle même et à ses compagnons de route, Joël Picton, Pierre Marca, René Nelli, Yves Rouquette… au fil de multiples créations. A chaque reprise, c’est la même complicité qui prévaut, la même démarche de l’imprimeur-créateur qui commande : comment assurer au texte sa dimension de mise en demeure de l’imaginaire, comment donner son poids à la fugacité des mots, son épaisseur à l’invisible ? Dès lors s’initie un long travail sur les formes, les couleurs et surtout la matière, car le papier, ne portant pas seulement les signes, leur donne force et les abrite. Rare parfois tels ces feuillets réalisés à partir de crotte d’éléphant destinés à retrouver les mystères anciens, tiré à la cuve, pressé avec les traces de végétaux des origines, il accueille aussi, à l’occasion, fleurs séchées, fils de cuivre, insertions diverses, comme cet ouvrage, à la couverture de céramique dont l’exécution, à plusieurs mains, demanda plusieurs années.
Mais, loin d’être un simple comparse dévoué à servir l’œuvre, Fernand Gautier apporte au « livre » qu’il fabrique une part de rêve et d’innovation. Imprimeur par nécessité, passeur des poètes par passion, il est, avant tout, un créateur aux multiples facettes : dessinateur, il est aussi graveur, peintre, il explore avec bonheur tous les chemins de l’abstraction, imprimeur il travaille avec le papier, le linoléum, le bois… Homme public, il se plaît, dans la solitude des saisons, à dessiner les hauts vents qui hantent les châteaux cathares avant d’en graver, manuellement, avec un savoir et une patience infinis, des épures dépouillées jusqu’à l’essence. Le plasticien se fait aussi écrivain de textes, à la beauté énigmatique, qui parsèment dessins et compositions ou clôturent ses livres en de précieux colophons : « Il fait frais dans l’atelier en ce 24 juin 1987. Un léger vent du Nord chante à la porte bleue. Le papier capte la grande lumière du Solstice. Fernand Gautier achève l’impression de ce Bréviaire ».
Ainsi, demeurera la figure de cet alchimiste, s’adonnant sans découragement, à l’aide de ses athanors, à fondre le plomb pour en tirer, après les lettres, d’étranges figures végétales ou abstraites qui sont autant de confrontations, fertiles et infinies, avec la transparence opaque de la matière et de l’écriture.
texte écrit par Jean-Pierre Piniès