Il fallut, à Dominique Jalabert et à sa compagne, traverser de nombreuses saisons et de multiples territoires pour découvrir leur futur royaume : des terres maraîchères abandonnées, au bout du petit village de Feuilla, surplombées de hautes falaises. Là, l’abondance de l’eau - plusieurs puits, un ruisseau, une source d’eau chaude - la diversité des sols et une lumière particulièrement heureuse, allaient leur permettre de créer un fastueux et exceptionnel jardin botanique. En fonction des étages écologiques ils installaient peu à peu arbres et plantes : trois-cents espèces d’arbres et d’arbustes dans les zones les plus basses, soit une multitude d’unités, conifères mais aussi chênes, sorbiers, pistachiers…, des sujets méditerranéens ensuite, oliviers, genévriers, filaires, eucalyptus, palmiers, puis, sans doute, le clou de cette aventure, les cactées et les succulentes dispersées en rocailles tout au long du domaine. Plus de mille espèces, une collection d’agaves parmi les plus prestigieuses de France… ! En le visitant l’esprit s’égare dans le vertige des chiffres : 7 hectares de terrain mis en chantier au fil de patientes acquisitions, 2 kilomètres de sentiers, et surtout des myriades de plantes épanouissant là leur singularité et leur richesse. Passé le miracle des énumérations, ce sont les noms qui poursuivent l’enchantement, casuarina, taxus buccata, trachycarpus, anacampceros… tous dans cet inventaire, mystérieux pour le profane, se font porteurs de secrets et de beauté. Enfin comment ne pas céder à l’émerveillement de cette mappemonde accueillant ses hôtes du Mexique, d’Australie, de Palestine, de Syrie, du Colorado…le maître d’œuvre veillant à ce que plantes et arbustes, souvent protégés, n’aient pas été dérobés à leur milieu d’origine mais élevés à des fins de reproduction. Car le but est ici d’acclimater et de réunir, en une volonté aussi cosmopolite qu’œcuménique, la diversité végétale du monde, au moins dans ses aspects les plus méditerranéens.
L’aventure comprend ses parts d’ombre, mais surtout de ténacité, puisque ses acteurs l’ont menée sans aucune aide, créant tout de leurs mains, investissant les deniers de leur salaire. Au fil des jours il fallut débroussailler, planter, dégager les murettes ou les relever, refaire les cartels, soit accomplir dans la discrétion une tâche de Sisyphe. Sans compter avec les ennemis naturels, les sangliers qui ravagent tout dans leur course, la sauvagine avide de jeunes pousses, les poussées terribles et inattendues du froid lors des hivers les plus rigoureux. Mais, au printemps, puis au long des étés, les rencontres et les visites d’amateurs passionnés, de randonneurs de passage ou de botanistes chevronnés et admiratifs compensent un peu le malheur des jours. Et, depuis sa cabane, le maître des lieux peut s’abandonner un moment, serein, aux fragrances et à la polyphonie bruissante qui, sous un ciel céruléen, semble s’élever au long des pentes avant d’atteindre le sommet des serres.
texte écrit par Jean-Pierre Piniès