Rien ne peut faire mieux réponse et apaisement aux inquiétudes de Baudelaire, qui voyait dans cette invention la ruine et la perdition de l’art, que les photographies d’Anne Montaut. Tant, en effet, les traverses qu’elle emprunte s’éloignent des aspects les plus convenus de la photo et de l’attrait banal de ses séductions faciles.
Déjà le parcours dévoile la singularité, la recherche de l’inédit, du non-enseigné, depuis les « interventions » aux Beaux-Arts, l’originalité de la plasticienne aux Arts Décos de Paris ou l’apprentissage de la photo dans un club de quartier avant le perfectionnement de l’Ecole. Le tout commandé par une exigence extrême envers soi-même et, sans doute corollaires fondateurs, l’affirmation affichée de l’indépendance, l’ignorance des modes et des écoles comme des mondanités, le goût de la solitude, enfin, au long des chemins où la création nourrit ses hantises. La discrétion et le retrait ne sont pas pour autant synonyme d’indifférence pour celle qui, élue municipale, se consacra avec ténacité à sa mission, mais elles impliquent une pudeur qui fait que, à quelques exceptions près, dont une mémorable suite de portraits sur les habitants de Bages, l’artiste est davantage sollicitée par des thèmes plus complexes, personnels, qui reconstruisent au final l’image du monde.
Pour Anne Montaut, la photographie est tout sauf un vecteur ayant en charge la reproduction du réel. Bien au contraire elle n’oublie jamais sa fonction perpétuelle de simulacre ou, dans d’autres cas, son rôle d’instrument destiné à franchir les apparences, à saisir l’être-même des choses, dans toutes les constructions que peut lui assigner l’imaginaire. Si le foisonnement de l’œuvre interdit de trop lui assigner de limites, il reste possible d’en dessiner quelques territoires autour de plusieurs thèmes, le vide, la trace, l’affranchissement des formes immédiates et le jeu permanent de la mémoire. Que ce soit en extérieur, dans l’essor de plages nues où le corps semble prêt à s’envoler, dans les infrastructures d’un théâtre en cours d’édification, dans le clair-obscur de ruines gagnées au végétal, que ce soit dans les mises en scènes minutieuses, les découpages et les montages de silhouettes, dans des cabanes de lumière au profond de l’atelier, qui font croire au triomphe de la véracité de la fiction… les enjeux sont identiques. A travers les plaques d’émail des cimetières où sourient de jeunes soldats morts, les rouleaux litaniques de visages ou de noms, les photogrammes d’objets aujourd’hui sans effet, les masques de plâtre autobiographiques, les prises de vue dans les carrières du littoral brûlées de soleil, revient l’obsession du temps, la contemplation des éphémères vérités pourchassées au long des saisons dans une quête qui tient de l’ascèse, d’où ne naîtront, au demeurant, que quelques photos rares et énigmatiques.
Pendant que, près de la maison, des fleurs éclatantes semblent conjurer les contours indistincts de l’athanor de la chambre noire.
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texte écrit par Jean-Pierre Piniès