« Je viens d’un monde ancien ». Un monde paysan où tout comptait, où l’enfant vit son grand-père, naguère, s’attacher, sur les pentes les plus abruptes pour ne pas laisser perdre l’herbe d’un pré. Plus près, derrière la Cité, ce sont les souvenirs de la modeste « campagne », la répétition et la variété des tâches agricoles dans des « écarts » que le confort de l’eau courante ou l’électricité ne rattrapèrent que fort tard. Avec des peines mais aussi des joies, dont celle, capitale, du dimanche avec la longue marche qui menait au stade, « la Pépinière », où les équipes de rugby à XIII affrontaient l'AS Carcassonne. Là, hurlant leur enthousiasme ou huant leur mépris, les spectateurs, tous des habitués, faisaient et refaisaient la saga des joueurs, ces héros légendaires : Pipette et ses coups de pied, le punch de la « famille Taillefer », les passes croisées de Roldos…
Là, comme à la maison, régnait la langue naturelle, celle qui disait le quotidien du monde, celle qui avait un mot pour toute chose, l’Occitan. Mais de ce royaume les enfants étaient exclus, réduits au rang d’auditeurs car leur était promis un autre destin, aux allures de mirage, où ils se feraient les maîtres de la langue des puissants et des gens de la ville, le français. Aussi répugnait-on, sauf exception, à les employer aux travaux agricoles et manuels, pour qu’ils s’adonnent aux promesses de la lecture et de l'étude. Il fallut donc à Alan Roch attendre l’adolescence et les premières chansons de Claude Marti, pour que, dans un véritable bouleversement, le « patois » des siens devienne « l’occitan » dont le nom commençait à s’afficher dans les lycées comme au long des routes en inscriptions tracées d’une main parfois maladroite, mais toujours convaincue : Occitan, as dreit a la paraula, parla ! (Occitan, tu as droit à la parole, parle !).
Le ton était donné, un rideau se déchirait pour le jeune homme qui partait à la conquête de l’identité confisquée avec les faibles moyens du bord, les contraintes imposées à un instituteur débutant qui ne pouvait consacrer que des poussières de son temps à l’enseignement de l’oc, mais aussi avec une passion jamais démentie. Dresser la trajectoire de ce parcours singulier reviendrait à dessiner celle du mouvement occitan, aussi bien dans son engagement politique que dans la diversité de ses actions : Viure a l’escòla, le Cercle Occitan de Carcassona, Lutte Occitane, l’Institut d’Estudis occitans… Depuis quarante ans, l’homme de terrain a hanté tous les fronts, blessé parfois par ceux qui se gaussaient, mais jamais découragé, porté par le sentiment d’une cause juste. Avec le temps, le militant passionné de la jeunesse, tout en gardant intacte la force de ses convictions, s’est métamorphosé en pèlerin affable et débonnaire aux allures de Lanza del Vasto. Écrivain passant des sirventés enflammés à l’écriture poétique, de la parole du conteur aux chroniques d’humeur… il s’est fait le héraut de la richesse d’une langue et d’une culture qui continuent à féconder le meilleur de notre présent.
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texte écrit par Jean-Pierre Piniès