La passion du trait remonte sans doute aux gribouillis incessants et impératifs de l’enfance que des maîtres attentifs et exigeants sauront transformer, à force d’exercices, de copies et d’observations, en une création personnelle et originale. Ce sont ces mêmes maîtres, qui conseilleront au jeune homme de préférer à l’académisme un peu figé des Beaux-Arts la confrontation avec d’autres disciplines, soit pour Jürgen Schilling l’histoire de l’art et la philosophie qui scandent, au demeurant, toutes les étapes de son parcours. S’ensuivent aussi des années d’échanges et de rencontres autour du théâtre, la participation à la mise en scène et à la création de décors avec les plus grandes troupes, de Stuggart à Strasbourg, la fascination pour Beckett, la découverte de Bacon.
Surgit, dans le même temps, la découverte de la Provence, de la variation du paysage et de ses formes, du jeu permanent par exemple que l’architecture paysanne sait mener, à force de détails, entre l’utile et le gratuit, la nécessité et le plaisir esthétique. C’est le début d’une aventure intellectuelle et artistique qui s’épanouit ensuite en Languedoc où Jürgen Schilling choisit de se fixer. A travers les pérégrinations et les traversées erratiques du territoire parcouru en tous sens, un lieu s’impose brusquement, lit minuscule d’une rivière abandonnée, à peine visible depuis la route quasi déserte qui le borde, au cœur du Minervois. Là, dans le lit du Rudem, pendant dix ans de fréquentation et d’approche quotidienne, où la déception passagère à rendre l’être même de la matière fait écho aux exaltations envoûtantes de sa maîtrise, se forge lentement mais avec force une conception du paysage qui, renonçant aux effets faciles sur la mort de l’art, se transforme en véritable interrogation et en source d’inspiration. Comment passer de l’émotion et de la contemplation à l’œuvre, sans s’enfermer dans les limites mécaniques de la reproduction du réel ? Sans doute en explorant d’autres voies, en remplaçant le miroir par la mimologie, les gestes se mettant alors à répéter les mouvements de la nature, l’érosion de l’eau, les déformations du vent, le silence du minéral… Vient aussi au secours de la démarche le refus de certains outils traditionnels du peintre et du dessinateur au profit de matériaux naturels, colorants issus de la macération de plantes et de fleurs ou pierres oxydées. L’acte suscite, parallèlement, un autre regard sur la matière, les arrachages et les raturages donnant à l’uniformité apparente des supports un relief où vont s’accrocher, comme un cri infini et suspendu, les suies végétales les plus précieuses et l’opacité des couleurs. Mais l’heure de l’atelier est aussi confrontation avec les jeux de la mémoire, et réflexion sur le regard partiel / partial que nous portons sur les paysages que nous reconstruisons, sur la tentative, inépuisable et mélancolique, d’en saisir le sens et de retraduire ou d’inventer la genèse des émotions.
Choix de publications :
- Images de la nature, 1998.
- Planésiens. Une expérience artistique en milieu psychiatrique, 2000.
- Faits divers / Aus der Welt, 2003.
- Les huit études pour un portrait de Van Gogh par Francis Bacon, 2005.
- Elémentaire, 2006, in La Narbonnaise en Méditerranée, regards croisés sur un Parc naturel régional.
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texte écrit par Jean-Pierre Piniès