Incontournables, les paysages du Sud scandent le parcours, depuis l’enfance à Narbonne, le lycée à Perpignan, les études à Aix-en-Provence, favorisant retours, expositions, travaux sur le livre avec Fata Morgana, Pierre André Benoît, la maison Joë Bousquet à Carcassonne. Le Sud ce sont aussi les installations saisonnières au cœur des Cévennes dans l’ancienne magnanerie transformée en second atelier. Et là, la retrouvaille première avec la brutalité de la matière, les cloisons en lauses épaisses, la charpente torturée par un incendie, les hautes marches de l’escalier de pierre où rêvent des fossiles. Le tout comme un écho duel de l’autre espace de travail à Paris, au bord des quais où l’indifférence de l’eau semble vouloir rivaliser avec les masses de l’élémentaire.
La peinture sera donc affrontement, confrontation avant l’ordonnancement et la mise en place juste des matériaux qui résistent au créateur, comme désireux de demeurer dans les territoires de l’entropie. Le dialogue est ancien, initié dans l’atelier où l’enfance se mesurait à la terre glaise des céramistes, poursuivi avec la cueillette de blocs de terre dans les carrières d’ocre, la recherche sur l’inépuisable variation des pigments. Viennent ensuite la mixtion, la préparation des couleurs, ce rapport essentiel avec la « boue » où le corps lui même, recueillant empreintes et traces, devient à la fois ombre et partie intégrante de l’œuvre. Il faut dire en effet ce travail physique dans la création d’Anne Slacik qui commence avec la préparation rituelle des châssis, lourdes structures parfois, dépassant les deux mètres sur trois, sur lesquels viendront les voiles de chaque voyage, la minutieuse préparation du support pour éviter l’infiltration. Puis les mouvements, les renversements de la toile peinte d’abord à même le sol, relevée ensuite pour permettre l’irruption des grandes masses de couleur, la fluidité des échanges et l’apparition des prémices du sens, l’élaboration et les reprises de l’énigme. Et ceci dans la répétition des jours car c’est la persévérance qui commande au travail de cette artiste-artisan, les longues heures presque quotidiennes jusqu’à la lassitude du corps dans un mouvement qui rappelle l’obstination des peintres du Quattrocento, inlassablement attachés à percer dans la force obstinée du labeur quelques-uns des secrets de l’éblouissement.
Solitaire en son ultime phase la création s’est nourrie de multiples découvertes, de voyages dans le temps à travers les pinacothèques européennes, accompagnés de passions, Piero della Fransesca, les primitifs italiens, la fusion des couleurs chez Pontormo, les contemporains…Mais cette peinture est aussi inséparable d’autres rencontres, celles des écrivains, et singulièrement des poètes, parmi les plus grands noms, André du Bouchet, Bernard Noël, Yves Bonnefoy… dans un commerce fructueux où répondent au texte, les épousent parfois, issus d’eux ou les générant, les incursions dans l’imaginaire du peintre à la recherche, discrète mais ininterrompue de l’infini.
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anne.slacik@wanadoo.fr
texte écrit par Jean-Pierre Piniès