Au plus loin de l’âge, se dressent les figures du père, le professeur de grec et de latin qui initie son fils aux humanités, et celle du voisin et ami, Joseph Campardou, pionnier de l’archéologie méridionale, qui l’entraîne en de longues excursions à travers les Corbières maritimes. Ainsi l’enfant puis l’adolescent vit dans un paysage où les hommes gardent encore le souvenir des dieux, où tout rappelle les sagas que chantaient les aèdes, les échos des épopées ou les cris des marchands grecs ou ibères qui abordaient les rivages des environs de Sigean. L’imaginaire fixe ainsi les limites de l’horizon essentiel et les incursions plus lointaines ne seront que péripéties vis à vis de l’attachement fondamental aux sites de la Narbonnaise (Pech Maho, Montlaurès, le Clos de la Lombarde…) et aux thèmes primordiaux qui vont de la Voie Domitienne aux villages Elysiques en passant par de multiples nécropoles pastorales.
Sans nul doute cette passion pour un espace arpenté sans lassitude au fil des saisons et des découvertes explique t-elle le destin singulier d’Yves Solier, semblable, en cela, à celui d’un Giono, qui lui fit abandonner la douceur ouatée des bureaux directoriaux d’une banque parisienne pour les chemins incertains mais solaires de l’archéologie. Sans doute est-ce elle aussi qui amena le spécialiste de la proto-histoire, s’éloignant un temps du domaine que sa spécialité lui avait fixée, à doter Narbonne de ses plus beaux musées sur l’époque romaine, à mettre en valeur son Horreum ou le Clos de la Lombarde, au risque de ne pas tout faire pour le succès de sa carrière. Mais, en le recrutant, le CNRS ne se trompa pas sur les promesses du jeune archéologue que confirmèrent, au cours d’une vie, des découvertes décisives. L’aventure commence à dix-huit ans avec celle d’une borne sur la Via Domitia comportant la plus ancienne inscription latine trouvée sur le sol de la Gaule, ce seront ensuite les fouilles sans prix de Pech Maho (VI° au III° s av JC) avec ses remparts à la grecque, le mobilier de ses cabanes abandonné par des habitants défaits après le combat, la mise en évidence du détail des relations marchandes entre indigènes et marchands venus de toute la Méditerranée. Plus tard viendra aussi le temps de l’archéologie sous-marine avec ses épaves et ses vestiges engloutis. Mais « l’invention » la plus spectaculaire et la plus inattendue demeure celle de la lamelle de plomb (V° s av JC) à la double inscription en ionien et en étrusque considéré d’abord, à tort, comme de l’ibère, et qui, après être resté durant plusieurs décennies dans les réserves du musée de Sigean allait valoir au chercheur une reconnaissance internationale. Peu à peu donc, Yves Solier, parcourant le littoral comme l’arrière-pays, scrutant avec bonheur traces et indices, dresse, avec l’érudition sans faille du grand spécialiste, la carte fructueuse de ce territoire où les civilisations succèdent aux civilisations dans la diversité et l’opulence d’une singularité dont elles nous laissent une inconsolable nostalgie.
Repères bibliographiques.
- Les épaves de Gruissan, 1981.
- Narbonne, guide archéologique, 1986.
- La Maison à Portiques de la Lombarde, Narbonne, 1987.
- L’établissement côtier de Pech Maho à Sigean aux VI-V°siècles av.J.C, 2004.
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11130 Sigean
texte écrit par Jean-Pierre Piniès