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Anne Spielmann
La « regardeuse » émerveillée

Il ne fallut pas moins que le souvenir d’un prince plein de fantaisie pour porter sur les fronts baptismaux la compagnie dans laquelle travaille principalement Anne Spielmann : agacé de voir les miettes de son kouglof tomber sur les pages des Mille et une nuits qu’il lisait avec passion et arrivé aux aventures d’Ali Baba, celui-ci décida de tremper son gâteau dans du rhum polonais mystérieusement advenu dans sa chambre, la collision lexicale annonçant ainsi l’aventure des « Babas au rhum ». Nourrie des grands spectacles initiés par Jack Lang à Nancy, des nuits où les représentations théâtrales repoussaient les limites de l’aube, de mythes recueillis au long d’itinérances nordiques, la plasticienne rencontre d’abord la scène par les décors qu’elle conçoit avant, au gré d’une bonne fortune, de se faire aussi comédienne puis conceptrice des projets artistiques de cette troupe.

Commencée à l’exigeante école des spectacles pour enfants l’aventure choisit immédiatement le signe de l’invention permanente et d’une énergie convivialement partagée avant de se lancer dans l’entreprise exaltante que fut le premier grand spectacle Sens Uniques. Il fallait des heures de préparation, quasiment sans pause, pour monter ce lieu éphémère, voué à la célébration et à la découverte des cinq sens, dont ceux qui le virent enfant se souviennent toujours avec émotion, mais qui dévora bon nombre de ses acteurs. Réduite, variant au gré des occurrences, s’adjoignant des musiciens, faisant même intervenir sur scène les techniciens, la compagnie, protéiforme, ne se laissant saisir par aucun filet, n’a jamais dérogé à ses mots d’ordre commandés par la liberté, le rêve et la transparence des jours, y puisant en permanence ses postures et ses paroles. De la même façon elle traverse tous les genres, usant de la pantomime, des marionnettes, de la musique, des images… s’efforçant constamment de mêler les publics en de fructueux échanges.

Aux mots, aux gestes, font écho les objets, en d’insolites rencontres et déglinguements tels ceux mis en œuvre dans la création bien nommée L’Ode au Ragoût par Louis Touchet qui poursuit la quête sensuelle initiée dès les origines de la compagnie. Mots, aphorismes de bon aloi, comme ustensiles du quotidien, détournés, retrouvent ainsi une nouvelle vie que le spectateur découvre parfois avec d’autres, parfois seul, ainsi quand il pénètre dans l’ambulance déraisonnable (Changement de Programme) où les horloges, ne marquant plus le temps, se suffisent à scander les surprises et les rêves. Parcourant tous les territoires de l’imaginaire, de l’immense au minuscule, du démesuré à l’intime, Anne Spielmann, depuis la vieille ferme du domaine de Lastours, aux portes de Coursan, tisse inlassablement les arabesques de son aventure nomade, nourrissant de la variété des paysages, de montagne en étangs et en rivages, la richesse de ses inventions. Et, dans un sac, baigné par la pénombre des rêveries, les mots, les gestes et les rencontres inattendues sont toujours prêts à accompagner les nuages vers de nouvelles et chaleureuses aventures du théâtre vivant.     


Contact :

spielmanne@free.fr

texte écrit par Jean-Pierre Piniès

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