Les Éditions Verdier,
Le livre, au cœur du monde, au cœur des luttes 

D’abord il y a ce lieu, toujours présent, toujours prégnant, les anciens bâtiments agricoles transmis de génération en génération, le voisinage du ruisseau, et les frondaisons, les tilleuls tutélaires, qui semblent avoir retenu le flux, incessant depuis trente ans, de la parole : la métairie Verdier, au sein des Corbières. Là, s’est noué une des aventures les plus importantes de l’édition française du vingtième siècle, autour d’un quatuor fait de Gérard Bobillier, Colette Olive, Michèle Planel et Benoît Rivero. Qui apiculteur, qui formateur pour les adultes ou les enfants, toulousains par le métier, tous ont participé aux luttes sociales des décennies 1970, du conflit des Lip aux grands mouvements viticoles, et tous ont dû faire face, ensuite, à un certain désenchantement et à de nouvelles façons de penser le monde. C’est ce même groupe, aussi internationaliste qu’ancré dans le territoire, qui va, après de longues discussions avec les amis parisiens fascinés par la richesse tumultueuse de ce lieu, se lancer dans l’aventure du livre.

Dans la production de la librairie subsistent de vastes friches qui réservent à une poignée d’initiés le privilège de textes essentiels. Dès lors, fruit des échanges et des rencontres, naît le projet de mise en lumière de ces titres. Comment questionner maintenant le sens du monde, comment l’écriture peut-elle servir à le déchiffrer ou à le sublimer, en quoi la lecture et l’interrogation des textes de la tradition peut-elle être opératoire pour ceux qui, pour la plupart, se pensaient comme athées ? Le Guide des égarés de Maimonide marque le point de départ de cette réflexion. Le projet suscitant l’enthousiasme de René Nelli, il livre aux jeunes éditions leur premier titre, son édition des poèmes du troubadour Raimon de Miraval, Du jeu subtil à l’amour fou, c’est lui qui leur indique aussi des manuscrits inédits de Joë Bousquet. Ensuite c’est l’édition de ce qui est devenu un classique de l’ethnologie, Les Batailles nocturnes de Carlo Ginzburg, l’explosion des traductions de l’italien, de l’allemand, de l’espagnol, des collections philosophiques, la publication des recherches textuelles les plus avancées, l’apparition, enfin, au catalogue, des écrivains français les plus importants, si nombreux, dont Pierre Bergounioux, Michèle Desbordes, Pierre Michon, les bouleversants Récits de la Kolyma…    

Encore fallait-il assurer pérennité à la belle aventure, transmettre… En 1995  Le Banquet du Livre, dans le petit village de Lagrasse, va concrétiser cette ambition : les écrivains  y rencontrent leur public, des comédiens lisent, des philosophes et des savants y animent des ateliers conviviaux… Ainsi ces agapes, spirituelles, semblent faire écho aux premiers temps, quand Colette Olive, pressée par les amis qui découvraient les vertus et les délices de la cuisine méridionale, la convainquirent de consigner le meilleur de ses recettes en de précieux petits livrets, traduisant à l’envi la dimension épicurienne de cette aventure



texte écrit par Jean-Pierre Piniès

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