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Josette Villefranque
Les Corbières, au cœur du monde

Tout se passa comme si la petite fille, sans l’avoir connu, avait été chassée du paradis, enfermée dans la succession des deuils de ses proches, assumant très tôt des responsabilités qui l’exilaient du monde des jeux de l’enfance, ne trouvant refuge que dans les rêveries infinies de la lecture. La rencontre avec le territoire, sous forme de coup de foudre, dut attendre la jeunesse, lors de vendanges à Villeneuve-les-Corbières qui tracèrent l’horizon géographique de son destin. Aussi est-ce à Treilles, village que la crise viticole avait ruiné et d’où sortaient ses plus proches aïeux qu’elle décida d’acquérir une maison, abandonnant ses fonctions parisiennes de secrétaire de direction pour des activités de journalisme. Elle ignorait, mais sans doute le pressentait-elle, qu’allait commencer pour elle un long travail de mémoire, que peu à peu elle allait partir, dans une longue quête, autant à la recherche de l’intimité des siens qu’à la découverte exaltante de l’identité fructueuse d’une petite région. Ainsi avec son mari elle en parcourut inlassablement les chemins et les sentiers, s’enivrant de parfums et de couleurs, de paroles et de témoignages sur une civilisation encore très vivante, fouillant les archives et sondant, à travers la saga familiale et les récits villageois, le secret des cœurs.

C’est cette fréquentation attentive et passionnée qui est à l’origine d’une œuvre qui met au service de l’écriture les plaisirs dont, la lecture, activité impunie, avait nourri les mélancolies de l’adolescence. Sans limites ni contraintes les créations de Josette Villefranque empruntent à divers genres, les chroniques aux accents d’érudition historique, d’ethnographie ou d’approche naturaliste de la faune et de la flore, livrées pendant des années à un journal local, faisant écho à la discrétion de poèmes souvent voisins de l’extraordinaire simplicité poétique des haïkus. En naîtront aussi des ouvrages de référence sur ces arpents de terre, ces « Corbières magiques » qui prennent sous sa plume des accents d’univers. Mais c’est dans le roman que cette fabuliste trouve les voies les plus riches pour rendre compte, au meilleur du monde, des parcours singuliers de personnages dont les péripéties tissent, à leur mesure, l’imagerie de la condition humaine. Hommes rudes et un peu frustes dans la simplicité des jours, mais surtout femmes, mères, amantes dévorées par des passions amoureuses qui leur font rejeter les conventions et assumer les aspects les plus tragiques de leur destin, tous ces héros inscrivent leurs traces dans un quotidien où les paysages et les vents commandent à la diversité des gestes. Entre mer et hautes garrigues, attachés au travail de la vigne, ils se font aux petites lueurs des aubes chasseurs attentifs, guettant l’envol des oiseaux au bord des étangs ou les frôlements presque imperceptibles de la sauvagine, avant de se laisser emporter le soir, dans la torpeur des étés les plus chauds, par le tumulte des désirs, devenant ainsi les héros d’une vaste geste, hymne lumineux de la romancière à la gloire  de ce royaume au cœur du monde.               

texte écrit par Jean-Pierre Piniès

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