Ceux de la pierre / Les carriers de Combe Redonde (Port-La-Nouvelle)
Dans la première moitié du XXe siècle, des carriers vivaient encore sur la frange sud de la Garrigue Haute, face aux salines et à la mer. Ils exploitaient le marbre dans les calcaires bréchiques des falaises et la « pierre bleue » depuis les hauteurs de Lapalme jusque sur les flancs du col de Marcou près de Port-La-Nouvelle.
Ceux de Combe Redonde dominaient un important ruisseau, à écoulement temporaire, qui entaille profondément les assises nord-ouest du Cap Roumani et draine le karst embroussaillé de Pech Gardie, terminaison orientale des Corbières. Des marmites naturelles qui piègent les eaux de surface furent aménagées en aiguiers par les carriers puis rapetassées par les chasseurs afin de maintenir en ces lieux arides le petit gibier: grives, perdreaux, lièvres...
Au pied de ces garrigues extrêmement fissurées, les eaux qui circulent sous le massif émergent, par endroits, abondamment, dans les zones marécageuses. Ces ressources en eau ont favorisé l'installation des hommes depuis environ cinquante mille ans : abri sous roche occupé au moustérien, épée « gauloise » en bronze, baignoires en plomb de « bains » romains...
Comme pour l'île Sainte Lucie, le charme de ces paysages tient dans les cloisonnements et les interpénétrations de deux écosystèmes bien marqués. Un des sentiers qui conduit vers les anciennes carrières circule dans les joncasses verdoyantes du Rec Mendil en contrebas des rocailles blanches et desséchées des garrigues. Le promeneur s'enfonce dans la nostalgie des abandons, d'un sous-bois de lianes, de phragmites et de tamaris, de murets et de digues de pierres effondrées dans les bras morts des roubines. Un escalier monte vers un cabanon délabré... dans les mares qui croupissent se mélangent l'eau douce et les remontées saumâtres.
Puis de nouveau la lumière, le rocher, le sec et l'épineux, les collines entaillées, ventre à l'air, dans un grand remue-ménage lithique orchestrés par les communautés de carriers de Clautezat, de Jugnes et plus vers l'ouest de Coumbo Loungo, des Barrens... Ces carriers pratiquaient une semi-autarcie, ils étaient tous plus ou moins polyvalents; agriculteurs, ils cultivaient la vigne, l'olivier, l'amandier et le figuier sur des terrasses délimitées par les débris de la taille, et entretenaient amoureusement des jardins en fond de combe ou près des habitations; bergers, leurs femmes ou leurs enfants conduisaient de petits troupeaux de chèvres et quelques moutons pour la viande et le lait. D'où la densité et la surface de tous ces aménagements lithiques en marge de leur exploitation principale : soles, faysses, enclos, corrals..., gagnés sur la garrigue et consciencieusement épierrés.
Le travail de la pierre sèche est partout remarquable car pratiqué par des professionnels de la taille et du maniement des pierres depuis le simple mur jusqu'aux constructions plus complexes comme les capitelles et aiguiers (Les Trois Jasses), la maison des Bastou (Cap Romani), les bergeries, cabanes et grotte à portique (Combe Redonde)...
Produire des moellons pour la construction, des bordures de trottoir, des mausolées ou, plus exaltant, participer à la construction du port... la pierre n'est pas qu' un simple gagne-pain, elle est aussi une vocation. Tel un sourcier, en quête des veines rocheuses, le vieux carrier me confiait : « les bonnes pierres, je les sentais ». Il connaissait l'alchimie de ce matériau brut arraché à son repos tellurique, il en savait tout le doigté et l'onirisme nécessaires pour l'acclimater, l'humaniser.
Je n'en doutais pas, il suffisait de se promener dans ce champ de ruines et de regarder. La pierre, le travail et l'ordonnance des choses trahissent encore aujourd’hui une véritable économie et intelligence du lieu.
texte écrit par Marc Pala