Le saint aux branches / (Lapalme)
La chapelle, dédiée à Sanctus Branquassius, comme le dénomme un document de 1295, se cache dans un bosquet de pins de la Plaine Nord de Lapalme, au pied des garrigues. Ce site est intéressant à bien des égards.
Sa situation d’abord intrigue. Charles Pélissier (1854-1927), médecin et érudit palmiste, argumente à partir de cet édifice, supposé préroman (Xe) et qui aurait succédé à un habitat gallo-romain, pour le passage en ces lieux de la via Domitia. Quoi qu’il en soit de la localisation précise et très discutée de l’antique chemin d’Espagne, le terroir de St Pancrace reste associé pour le Moyen Age et le début de l’époque moderne au paiement de la Leude. Le revenu de ces péages (impôts sur les marchandises et le bétail) quand il n’était détourné pour le profit des seigneurs locaux devait par prescription royale servir à l’entretien des routes et ponts. En 1299, Bernard d’Auriac, fils d’Amiel seigneur de St Pancrace et futur coseigneur de Lapalme en 1301, prête serment au vicomte de Narbonne pour la collecte de la leuda castri de Ruperforti…, in terminio de Sancto Brancassio.
L’isolement de la chapelle jointe à la proximité de la route d’Espagne ainsi que peut être la pratique médiévale consistant à prêter serment sur les reliques de St Pancrace (Grégoire de Tours repris par Voragine) incitèrent, fin XIIIe siècle, à la rencontre secrète en ces lieux, des ambassadeurs aragonais et des émissaires narbonnais lors d’un complot tramé par le vicomte de Narbonne contre le roi de France Philippe III le Hardi (H.L., X, p. 409).
Ce prieuré ou cella de Pancrassius, dépendait de l’abbaye de La Grasse qui tenait le fief ecclésiastique de St Jean de Palma. Tout dans le style de l’édifice primitif semble renvoyer au XIIe siècle (Pirault). Les principales restaurations et agrandissements de cette église concerneraient le milieu du XIIIe et la première moitié du XIVe. L’intérêt de cette chapelle, outre qu’elle est une des plus anciennes de la région, repose sur des sculptures à figurations humaines et des ornementations végétales aux angles de chapiteaux.
Pendant près d’un demi siècle, un groupe de bénévoles, principalement des viticulteurs de Lapalme se sont attelés à la restauration et l’aménagement du site. Poussant leur souci de perfection jusque dans la réalisation d’une porte d’entrée en chêne avec une ferronnerie « voulue à l’imitation de celle du XIIe siècle de Corneilla-de-Conflent », les restaurateurs ont su néanmoins conserver au site des allures de grande simplicité et de dépouillement. Havre de quiétude, la chapelle accueille de temps à autre un pèlerinage à Pâques ou à la Pentecôte mais les 12 mai, la fête de son saint patron, n’attire plus depuis bien longtemps « tous les pâtres de la région (qui) décoraient de rameaux verts la statue du saint.»
Elle a dû paraître bien étrange aux autochtones cette dédicace à un jeune martyr inconnu de 14 ans décapité sur la lointaine voie Aurélienne, vers l’an du Seigneur 287. Et ce nom de Pancrace que les pseudos étymologies savantes de la Légende Dorée tentent d’interpréter à partir d’une langue de clerc, le grec, comme incarnant les vertus prédestinées du jeune saint (pan, tout, gratus, agréable, ou encore pancratiarius, soumis aux fouets…). Le peuple indifférent à ces contorsions et importations possèdait ses propres sources, ses propres techniques phonologiques qui rapprochent autrement les mots et fusionnent les traditions. L’occitan branca, branche apparaît sous les diverses appellations que revêt Pancrace dans le Midi : Branquat, Brancard, Brancari… un saint en rapport avec la végétation, le mai païen, les divinités sylvestres, la protection des bêtes et des troupeaux et qui retrouve la symbolique chrétienne dans les palmes pascales et celles des martyrs…
Et si ces convergences entre traditions savantes et populaires matérialisées par les ornementations florales des chapiteaux étaient aux origines du nom du village voisin, Palma ?
JALABERT Lydie, 1995, La communauté de Lapalme au XVIIIe siècle, maîtrise d’Histoire, Paris VII.
NELLI René, 1975, Notes sur le folklore de Bouisse, Revue Folklore 158.
PELISSIER Charles, 1919, Etude sur un tronçon de la voie Domitienne, Caillard, Narbonne.
PIRAULT Robert, 1987, Dans le jeu de la terre et de la mer, Candela, Narbonne.
VILLEFRANQUE Josette, 1969, Corbières magiques, Subervie, Rodez.
texte écrit par Marc Pala