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Sur la route / Les voies de Bérade (Sigean-Roquefort)

La garrigue, autrefois repoussée par l'homme, a noyé sous sa chape végétale tous les signes d'une emprise étrangère à la sienne. La grande route qui passait en ces lieux, le lent trafic des chariots, les cris des voyageurs et des bêtes s'en sont allés comme ce ciel qui glisse emporté par de grands vents.

Mais sur une dalle de calcaire, à l'ouest de Grange Neuve, le vieux chemin s'étire sur près de 150 mètres au milieu des bruyères et des repousses de pins. Très large, de cinq à sept mètres par endroits, labouré de plusieurs séries d'ornières bien marquées, il trace dans le vert des jours, une véritable artère de rêve. Car il en a fasciné du monde ce chemin comme ces érudits qui, dans un besoin de communion avec un passé classique ou mythique, l'ont fréquenté et étudié, et tous ces curieux ou promeneurs pour qui il est comme un lien mystérieux qui les rattache à un autre monde. Celui des « origines ». Puisque ce chemin, en somme, serpente plus dans le temps que dans l'espace.

Cette impressionnante portion de voie, probablement antique, de Grange Neuve fut nommée, surement à tort, via Domitia. Elle pourrait correspondre à un chemin d'exploitation annexe qui filait en direction du Gasparets sur lequel abondent des tessons d'amphores d'époque gallo-romaine. Elle n'est pas la seule à drainer le secteur; de part et d'autre de la butte de Bérade, à l'ouest de Sigean, se remarquent les vestiges de plusieurs voies d'époques diverses, matérialisées par les traces que les roues des charrettes laissèrent sur les affleurements rocheux ou des portions de dallage.

Le chemin dit de Fenouillet, miraculeusement épargné par la tranchée du gazoduc, est un autre tronçon « spectaculaire » de voie à rails d'une trentaine de mètres de long, nettoyé et balisé par des bénévoles roquefortois. Il en reste autant à dégager. Un seul regret, son baptême hâtif et abusif de voie Domitienne. Comme pour celle de Grange Neuve, cette voie se prolonge en fait vers l'ouest; des ornières très nettes qui se retrouvent, au-delà du gué, présentent le même écartement caractéristique de 1,35 m.

Jusqu 'au milieu du XVIIIe siècle, le chemin d'Espagne, qui a légèrement fluctué au cours des âges, passait en ces lieux. Si la direction générale de cet axe, à la fois stratégique, politique et commercial (Via Domitia, Cami Francès, Route Royale), ne semble plus susciter de polémiques, en revanche son tracé précis pose encore de nombreux problèmes.

Cette voie en provenance de Narbonne par Pra-de-Cest (qui doit son nom à la borne milliaire ad sextum), puis par les lieux-dits Deume (du lat decimus)  et Prat d'Audène (du lat undecimus), respectivement les dixième et onzième mille de Narbonne, franchissait la Berre au pied de l'oppidum de Pech Maho. Des vestiges d'une pile de pont médiéval (dont le soubassement semble antique), près du gué de Villefalse attestent de l'ancienneté de ce passage. Un pont y est mentionné en 1335. L'emprise de l'autoroute retrouve approximativement l'itinéraire antique qui passait par le col de l'Agrède (du lat. gradus : passage au col), traversait la plaine de Roquefort et franchissait les Côtes aux lieux-dits Desferra-Cabals et la Calade, deux autres toponymes significatifs des vieilles routes.

Quand on emprunte tous ces anciens chemins qui sillonnent Bérade, Gasparets ou Fenouillet ce n'est point pour se rendre quelque part. On laisse derrière soi tous les utilitarismes, la sédentarité, pour échapper un temps à sa condition. On s'identifie à ceux qui l'ont emprunté, en se laissant saisir par le mouvement, le paysage... la vie. On marche vers une rencontre.

Par delà les intentions premières, de surface, les évidences : celles de l'histoire ou de l'archéologie par exemple, se cachent peut être de plus profondes motivations, souvent inconscientes, comme trouver le chemin de soi même. Ou  peut être plus simplement en soi même, hors de tout but, en déshérence, parce que « dans l'homme tout est chemin ».

Bibliographie:

CAMPARDOU Joseph, 1941, Etude cartographique de la voie Domitienne de Narbonne à Salces, B.C.A.N. XX.

                                  1947-1948, Sur le tracé de la voie Domitienne de Narbonne à Salces, B.C.A.N. XXII.

COMPS Robert, 1964, La voie Domitienne de la Berre au Rieu de Treilles, B.C.A.N. XXVIII.

                              1966-1967, La voie Domitienne de Peyriac-de-Mer à Salces, B.C.A.N. XXIX.

PALA Marc, 2005, La via Domitia, Journal d'informations municipales Lo Sijanòt, n° 6 et 7.

SOLIER Yves, 1963, Nouveaux vestiges dans le Rieu de Treilles, B.C.A.N. XXVII.

SOLIER Yves et MAX Guy, 1998, Voies romaines du Rhône à l'Ebre, (p. 47-49 / 69-77), DAF 61.

texte écrit par Marc Pala

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