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Un personnage mystérieux / La Crotz de la Lega (Bages)

Il en est des lieux comme des hommes, qui peuvent se perdre "un jour ou l'autre dans l'herbe folle de l'oubli". Un nom, un signe suffisent à son salut, et voilà notre lieu qui devient ancreur de mémoire. Le sauvé se fait sauveur en nous empêchant de nous égarer dans "l'indifférence des parages". La Croix de la Lieue fait partie de ces endroits qui fixent l'intangible, donne chair à l'immatériel. Bien sûr, les réseaux entrecroisés de la légende et de l'histoire ne sont pas faciles à démêler, ni à suivre mais l'essentiel demeure : le lieu raconte. Il fut consacré par une parole donnée, un voeu et reconnu par une communauté.

La croix qui se dresse en contrebas de la D 6009 (ex-N9), à l'embranchement du chemin des Pesquis, fut restaurée et inaugurée, il y a près de vintg-cinq ans, en présence des élus et du prêtre de Bages, au cours d'une cérémonie empreinte de solennité. A cette occasion, on fit appel à la mémoire collective et à l'érudition des sociétés savantes. Déjà au XIXe siècle, cette histoire quelque peu oubliée, fut sauvée et transmise par un célèbre félibre narbonnais Hercule Birat (1796-1872) "qui la tenait de M. Ginouillac, qui l'avait lue dans une vie de Sainte Madeleine". A leur suite, d'autres versions refirent surface et malgré la variété des formes narratives, les confusions sur les événements, les dates ou les personnages, la structure restait relativement stable. Les dénouements convergeaient vers un même fait : l'érection d'une croix miraculeuse à une lieue de Narbonne.

Vers la fin du XIIIe siècle, un mystérieux personnage, de haut rang, est emprisonné par les Aragonais, suite à un désastreux combat naval. Alors qu'il croupissait dans les prisons de Barcelone, il aperçoit une nuit à ses côtés "une dame d'une éblouissante beauté qui l'appelle par son nom". Elle l'invite à la suivre puis le transportant dans les airs ou abolissant les distances, elle le dépose près d'une ville, en bordure d'une route. - "Savez-vous où nous sommes ? lui demande-t-elle.

- "Sauf erreur nous sommes encore dans les murs de Barcelone"

- "Vous vous trompez, conclut-elle avant de disparaître, vous êtes sur vos terres à une lieue de Narbonne".

Le jour commençait à poindre, le miraculé planta alors une croix rustique à la place même où sainte Madeleine l'avait quitté, non sans lui avoir révélé son nom. A partir de là, la légende va mobiliser autour du lieu et s'accaparer des esprits : dévotion pour les uns, quête identitaire pour les autres. On scrute l'histoire, le conflit franco-aragonais en toile de fond, on s'interroge sur l'identité du personnage, Alphonse de Provence, duc de Narbonne ou Charles II le boiteux, roi de Sicile, respectivement le frère et le neveu de Saint Louis, restant les héros favoris de cette légende qui tient parfois du roman.

A Sigean, une variante locale (cf. Maltret, Conte) voudrait que Charles II le boiteux, lors de sa retentissante libération en 1284, remit entre les mains de Pierre de Montbrun, archevêque de Narbonne, la somme nécessaire à la construction des trois églises de Peyriac, Portel et Sigean (église désaffectée du Calvaire). La légende, une fois encore, épouse ici les reliefs de l'histoire. Le style architectural (début du gothique méridional) de ces trois bâtiments, dépendant de l'archevêque de Narbonne, atteste bien la fin du XIIIe siècle. Période durant laquelle Pierre de Montbrun fit édifier la tour et la chapelle Sainte-Marie-Madeleine ( 1273 à 1276) du palais des archevêques.

Bien que mentionnée tardivement, en 1619, dans un compoix de Bages, cette Croix de la Lègue serait beaucoup plus ancienne. Le socle de la croix "primitive" détruite dans les années 1970 lors de l'élargissement de la N9 portait les armes d'Antoine du Bec-Crespin qui fut archevêque de Narbonne entre 1460 et 1472. Sur une autre de ses faces, était gravée le blason du "seigneur de Treilles qui prélevait dîmes et prémisses sur le territoire de l'étang de Bages". Et si au regard de ces données, le choix de son emplacement semble obéir à certains impératifs : en lieu et place d'un ancien milliaire, d'une leude ou d'une borne... il n'en reste pas moins, en deçà du merveilleux de l'histoire sainte, un indicateur précieux. Il nous rappelle que malgré l'espace disqualifié dans lequel se tient aujourd'hui la croix, aux pieds d’un lotissement, entre  D 6009 et autoroute, qu'il reste le signal tangible de l'immatérialité d'un territoire (patrimoine oral, pratiques culturelles, expressions, savoir-faire...) sans lequel celui-ci perdrait en densité.

C'est ici, dans un précaire no man's land où le bruit règne, où le temps s'accélère, menacé par une urbanisation galopante, que nous avons peut-être le plus besoin de la "magie" d'un lieu...

texte écrit par Marc Pala

Catégorie: 4. Légendaire

Bibliographie :

Bonnet Etienne, 1951-1952, La croix de la Lieue in BCAN, t. 23.

Conte Pierre, non daté, Promenade dans les Corbières Maritimes, Polycopie Syndicat Initiative Sigean.

Gaume Jean-Joseph (Mgr), 2005, Biographies Evangéliques, Ed. Expéditions pamphiliennes, 2 vols.

Maltret Emile, 1962, Sigean. Origine, histoire, Polycopie Ass. Amis du Vieux Sigean.

Ribadeneira R.P., 1982, La Fleur des saints,  Ed. Sainte Jeanne-d'Arc.


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