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Un palais pour Charles et Galla  /  Le Castelas (Portel-des-Corbières)

Perchées sur une colline (alt. 115m.), à un bon kilomètre au sud du village de Portel, les ruines du Castelas dominent la vallée de la Berre. On connait assez bien ce type de construction dont le plan révèle une enceinte polygonale qui épouse les configurations du terrain autour d'un petit tertre couronné par une tour. Mais ce castelàs que Barthe qualifiait déjà au début du XXe siècle de "lamentable ruine" n'offre plus que quelques lambeaux de muraille envahie par le lierre et la ronce. Si le corps central n'est plus qu'un amas de moëllons, il reste, comme ultime vestige de son faste d'antan, une porte exceptionnellement conservée qui dresse vers le levant un bel arc de plein cintre.

Les sources historiques sur ces fortifications souvent monumentales font cruellement défaut et la mémoire populaire les désigne sans distinction sous le terme générique et vague de castelàs. A partir de là, on comprend aisément qu'il n'en fallait pas beaucoup pour exciter l'imagination, quelque peu "romantique", des érudits locaux des XIXe et XX siècles. L'Histoire Générale du Languedoc, ouvrage et source incontournable des historiens du terroir, fut le catalyseur de la légende historiée, en identifiant le Castelas au "palatium valle Corbaria" évoqué par les Chroniques du Continuateur de Frédégaire (VIIIe s.). Le Castelas serait d'après l’H.G.L. (Livre VII, 34) "un ancien palais que les rois visigoths avaient fait bâtir et qui portait le nom de ce pays". Les érudits portelais, à la suite de Louis Lapeyre, font montre de plus d'audace en affirmant qu'il fut construit par le roi visigoth Athaulf entre 412 et 414. Ce récit enjolivé par la présence de Galla Placidia (388-450), dernière impératrice d'Occident, et les péripéties romanesques de la bataille de la Berre (737) est devenu légendaire à Portel et dans ses environs.

Il n'est pas sûr que les érudits locaux mesurent tout l'emprunt, illégitime car non fondé,  qu'ils ont fait à la grande Histoire, en s'emparant de Galla, soeur de l'empereur romain Honorius, otage puis reine éphémère des Goths. Son mariage, à Narbonne, avec un chef barbare marqua à ce point ses contemporains qu'ils y virent l'accomplissement de la prophétie biblique du prophète Daniel : "La fille du roi du Midi s'en viendra auprès du roi du Nord". Celle qui "allait vivre dans sa chair la déchéance accélérée de l'empire", qui joua un rôle politique majeur à un moment charnière et chaotique de l'Occident vécut dit-on, probablement des jours heureux, dans "un splendide palais à la vue imprenable : le Castellas".

Charles Martel qui enraya les prétentions des Omeyyades, lors de la bataille de la Berre séjourna, lui aussi, dans le Castelas, avec sa garnison, avant de le détruire lors de sa retraite; "on peut l'imaginer se pavanant dans la cour qui jouissait d'une vue magnifique... Il pouvait voir les navires arabes sur la mer et les troupes...".

Ah! Les belles histoires! Alors que des historiens, au ras des paquerettes, n'y voient qu'une forteresse tardive du XVIe siècle "construite de façon précipitée et sans doute à moindre frais", dont seules les parties stratégiques, tour et porte, bénéficiaient d'attention. Selon ce point de vue, peut-être un peu trop restrictif, le Castelas, camps retranché, participerait du système de défense de l'ancienne frontière franco-espagnole, mis en place au début de l'époque moderne. Mais en l'absence de fouilles archéologiques, le prospecteur de terrain est tout aussi dépourvu que l'historien. Même si par ailleurs, l'histoire risque fort de se répéter, en tenant un discours nécessairement sans surprise sur tous ces sites, à peu près uniformes, qui renferment une même sédimentation culturelle : du romain, du médiéval, un habitat ou une forteresse... Classique ! Voire banal.

Alors là-haut, sur ce tas de cailloux, tourné vers les étangs, la légende parle plus haut que l'histoire. Le Castelas, Notre-Dame des Oubiels, la voie Domitienne... autant de points d'attaches de la mémoire locale à partir desquels se reconstitue un territoire réel ou imaginé, se réinvente un groupe. Cette création collective confirme le lieu dans sa fonction de ressource mémorielle. Plus qu'un espace à parcourir ou à visiter, le Castelas trouve son lieu dans le récit. Son abandon, la difficulté d'y circuler, accroissent son éloignement et n'en restituent que plus de force au discours. On s'y rend rarement, à l'occasion ou une fois de temps en temps, en pèlerinage. Pour y voir l'espace autrement, aux premières loges  : "car ils estoient venus par la mer, et vinrent contre Charles Martiaus tous prest à la bataille; et Charles leur revint au-devant, hardiement les encontra en une valée qui est appelée Corbarie, sur un fleuve qui a nom Byrra. La fù la bataille grant et merveilleuse..."

Si  le regard crée le paysage, ici la parole a créé le lieu.

texte écrit par Marc Pala

Catégorie : 1 / 4. Fortifications / Légendaire

Bibliographie :

- Sur le Castelas:

Barthe E., 2001, Les seigneurs de Portel, Ed. Lacour, Nîmes.

Dieltiens D. et Quehen R., 1987, Les Casteillas des Corbières : un système de défense du XVIe siècle, SESA, t. 87.

- Sur Galla Placidia :

Gourdin Henri, 2008, Galla Placidia, Impératrice romaine, reine des Goths,  Ed. L'Oeuvre.

Arkhane Arielle, 2001, La reine de Narbonne, Roman historique, L'Harmattan.

- Sur la bataille de la Berre :

Devic et Vaissette, 1874-1892, Histoire Générale du Languedoc, t. VII, Ed. Privat, Toulouse.

De nombreux textes d'érudits sur polycopie ou en ligne puisent pour la plupart dans un même fonds frelaté. Loin des sources : Fedegarii et aliorum chronica / Vita Karoli Magni  / Les Grandes Chroniques de France / Ordonnances des rois de France de la troisième race...



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