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L'allée des naufragés / Notre-Dame-des-Auzils (Gruissan)

A Leucate, Port-la-Nouvelle ou Gruissan, les garrigues, sans autre transition qu'un étroit liseré de sable, versent dans la mer. Depuis ces hauteurs, où les moutons autrefois se confondaient avec la roche affleurante, la mer dévorée de lumière s'insinue entre pierre et soleil. "Une touche de bleu, deux doigts de mer", une voile blanche sur un horizon tremblant... il n'en fallait pas plus parfois pour une vocation de marin. Dans ce pays, si tu n'étais pas agriculteur ou berger, la mer t'ouvrait ses bras. Elle te baladait sur tous les océans du globe : les îles grecques, Colombo, Hong-Kong... et lors d'une  crise, amante possessive, refermait sur ton corps son étreinte impitoyable; à jamais soustrait aux tiens.

"A la mémoire de mon bien aimé frère Jean-Pierre Rouquette capitaine au long cours, commandant le brick Saint-Pierre, naufragé le 18 décembre 1866 à l'île de Shiro (Grèce), à l'âge de 49 ans."

"Un père malheureux a élevé un monument à son fils égorgé au milieu des mers. Juillet 1824."

Entre cyprès et pins d'Alep, une allée bordée de stèles et de cénotaphes, égrenant les naufrages des marins gruissanais, monte vers une chapelle rustique. Ce n'est qu'au fil des siècles, que  la vocation religieuse des lieux évolue dans le sens d'une dévotion mariale et maritime. En 1080, la chapelle actuelle, reconstruite en 1635, n'est qu'un petit prieuré occupé par des moines de l'abbaye de Cassan. Vers le début du XIIIe, elle prend son nom de Sancta Maria de Sauzillis dont la signification "qui secourt" (lat. auxiliaris), semble être confirmée par la dédicace à saint Salveyre (sauveur), patron de la grotte sur laquelle le sanctuaire a été édifié.

Mais c'est en 1797, suite aux naufrages de trois bateaux de pêche gruissanais au large du grau de la Vieille Nouvelle que la population durement éprouvée par cette tragédie qui lui ravit trente deux des siens dont des enfants de treize à quinze ans, organise son premier pèlerinage et développe un véritable culte au lieu. Depuis tous les ans, les lundi de Pâques, le village se rend à la chapelle pour un hommage aux marins disparus en mer. Autrefois les pèlerins gravissaient pieds nus l'allée des naufragés. Les pêcheurs influents, le dos fléchissant sous le fardeau d'un Nostre Senher lo Gròs, y portait un Christ en croix, au bois alourdi de sable et de pierres. On venait ici pour honorer les morts et se placer sous protection.

Ceux-là mêmes qui vinrent en pélerinage aux Auzils et qui contemplèrent la mer depuis la terre, cherchaient dans la tempête, dans l'échancrure des brumes et des embruns, les repères visibles de loin qui indiquent la côte et ses passages, l'abri des graus salvateurs et des ports. Une même légende hante le littoral, de marins sauvés par une intercession miraculeuse, et de voeux qui en découlent, à l'origine de la fondation d'oratoires à l'intérieur des terres et des chapelles votives du littoral. Certains cultes relèvent d'époques anciennes comme à Notre-Dame-de-Faste sur le Tauch ou aux Auzils dans la Clape, d'autres comme Notre-Dame-du-Bon-Secours à Leucate ou du-Bon-Voyage à Port-la-Nouvelle sont relativement récents, ils participent d'un réveil de la foi vers la fin du XIXe siècle après une longue perte d'audience due aux troubles révolutionnaires.

Dans la chapelle des Auzils, les voeux, s'ils ne sont à l'origine du sanctuaire, recouvrent les murs, le tapissent comme une seconde peau. Les marins en perdition   une fois rentrés à bon port, y remercient le ciel, par le biais d'ex-votos, de les avoir aidés à conjurer les périls : tableaux peints sur des cadres ou en trompe-l'oeil, plaques gravées, bannières, maquettes de bateaux, béquille... Mais rien de triste dans tout cela, voire une certaine sérénité. A l'extérieur, le visiteur retrouve la lumière, les pins, les cigales... Aujourd'hui comme hier, la vie contre la mort. Cette vie qui  s'exprime au milieu des tombeaux dans le langage cru des filles se cherchant un amoureux : "Sant Salvaira, bailha me un fringaire o te foti un pic", ou dans le pèlerinage des jeunes, double tapageur de l'officiel. Car la jeunesse, à sa façon, rend aussi hommage aux disparus par des libations alcoolisées qui suppléent aux prières des aînés. Puis par des chemins de traverse, sauvages et périlleux, clôture ses ablutions par un ultime plongeon dans la mer, réconciliant ainsi le monde des morts et des vivants.

Cette mer à l'horizon, omniprésente. Mer par dessus le toit de la chapelle, évocation d'un autre cimetière marin : "ce toit où palpitent les colombes, la mer toujours recommencée",  cette mer fidèle qui dort sur les tombeaux. Ou, clin d'oeil juvénile, vers une autre tombe,  insolente, celle d'un "éternel vacancier qui fait du pédalo sur la vague en rêvant".

Catégorie: 7 / 3. Haut lieu / Sacré

Bibliographie :

Nombreux articles de journaux sur le thème du site unique et poignant : "Il est difficile de trouver un coin aussi émouvant... peuplé de tombes vaines où le vent marin ne promène dans les arbres que la rumeur du souvenir"

Amiel Christiane, 1989, Traverses d'un pèlerinage / les jeunes, le vin et les morts in Terrain n°13.

Chauvet Maurice, 1976, Aux couleurs du Languedoc, Montpellier.

David Magali, 1989, Ma Clape, terre secrète, Imp.Candéla, Narbonne.

Girou Jean, 1987, Itinéraire en terre d'Aude, Ed. Collot et MW Graphic.

Les lecteurs auront reconnu, en conclusion, les allusions à d'autres cimetières marins, celui de P. Valéry et de G. Brassens "Supplique pour être enterré sur la plage de Sète".



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