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Un corps lié de fer / La chapelle Saint-Siméon (Boutenac)

La chapelle Saint-Siméon fut construite en 1895, sur le versant oriental du massif de la pinède, au dessus de la grotte où vécut le saint, non loin de l'abondante source de Font-Sainte. De ces collines gréseuses où poussent le pin maritime, le chêne liège, l'arbousier... bruyères et cistes, le promeneur domine toute la plaine viticole de Boutenac-Gasparets, un des terroirs les plus réputés de l'appellation Corbières. La fertilité de ces terres, très tôt, attira les convoitises de puissants colons comme l'abbaye de Lagrasse puis de Fontfroide qui y établit des granges fortifiées : Gaussan, Hauterive... Cette dernière prit le relais de fondations plus anciennes comme cette villa Octaviana célébrée en 465 par Sidoine Apollinaire : "l'habitation a fière allure... avec son oratoire, ses colonnades et ses thermes remarquables [qui] portent son éclat loin à l'entour; en plus de cela, ses champs et ses eaux, ses vignobles et ses oliveraies, son vestibule, son terre-plein et sa colline, lui donnent un charme extrême".

Pour une fois cet environnement bucolique et riant contraste avec les vastes étendues désertes et sauvages qui sont le lot habituel des ermites. Mais Siméon, dit-on, recherchait la solitude absolue, il compensait la douceur de ces paysages par la rigueur de sa vie, "mortification de la chair et flagellation étaient le quotidien de son existence". L'hagiographie voit en Siméon un guerrier puis un ascète, tout entier dévoué à ses causes. Dans sa jeunesse, vers la fin du Xe siècle, il combattit les infidèles puis se consacra à une charge d'évêque avant de se retirer par étapes de la vie mondaine : moine à Fontfroide et enfin ermite dans le massif de Boutenac, un îlot de sauvagerie au dessus des cultures. Il y serait mort en 1025.

Siméon a cela de particulier que sa sainteté et son culte ne furent pas imposés par la hiérarchie, il n'a jamais été canonisé. Il suscita l'admiration "par ses pénitences et les prodiges de sa vie et de sa mort", provoquant l'adhésion du petit peuple et fut proclamé saint dans le Narbonnais "par acclamations sans procédures préalables". Mais comme nul n'est prophète en son pays, il n'a pas eu l'honneur d'être le saint patron de la paroisse de Boutenac, supplanté par un adolescent martyr en Cappadoce, saint Mamès, dont les reliques (crâne) et le culte furent ramenés en Occident lors de la quatrième croisade (1204). Mais que sait-on vraiment de ce Siméon dont la mémoire aurait pu pâlir dans l'ombre de son célèbre homonyme saint Siméon le Stylite (392-429), ascète orthodoxe qui vécut au sommet d'une colonne, et auquel on associa sa fête un temps ?

Une plaque en plomb, dite pitacium, gravée d'un court texte latin sur les deux faces,  est conservée dans l'église de Boutenac. Vers la fin du XIXe siècle, savants (Commission Archéologique de Narbonne) et ecclésiastiques se sont passionnés pour cette épitaphe dont l'interprétation prête sur certains points à discussion. Il y est question d'un Siméon, évêque puis moine qui mourut en paix à Boutenac, un 16 décembre mais sans mention aucune de l'année, et dont le corps fut retrouvé longtemps après le 17 aôut 1133 et "élevé de terre dans une chasse avec une grande joie et pour lui rendre honneur". Ce corps enfermé dans un sarcophage de pierre, redécouvert en 1133 (précisé 2 fois), "fut trouvé en état de parfaite conservation". L'inscription au revers de la plaque de plomb relate que le saint avait été lié de fer et portait une croix pectorale. L'abbé Degua, ancien curé de Boutenac, qui a vu cette "ceinture de fer" en 1863 rapporte : " La rouille a sans doute dévoré cette ceinture, mais j'ai reconnu sa forme primitive dans les parties fragmentaires qui existent encore. Elle était de la largeur et de l'épaisseur d'un cercle de fer employé pour les barils de 50 à 60 litres et les pointes n'en sont pas aiguës". Quant à la croix qu'il a aussi vue et mesurée, elle était de même facture que la ceinture. Preuves pour l'abbé d'une consécration épiscopale et de toute une vie de pénitence. Si les restes du saint ermite reposent dans l'église paroissiale, sa mémoire en revanche reste attachée aux hauts lieux de la pinède, la grotte où il vécut et la chapelle où les fidèles des villages alentours se rendent tous les ans, en procession, le premier mardi d'août.

Certains ermites trop rigides, et il semblerait que Siméon fasse partie de cette catégorie, considéraient ce monde exclusivement comme une vallée de souffrances et de larmes. En pénitence dans le noir de la grotte, tout absorbé en Dieu, ils percevaient comme un péché la distraction occasionnée par le spectacle du dehors, la beauté dérangeante de la nature. Puisse Siméon avoir été touché par la grâce de saint François qui à l'automne 1225, épuisé par les stigmates composa ce chant : "Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère le vent, et pour l'air et le nuage et le ciel clair..."

Le vrai pèlerinage dans ces collines boisées passe aussi par là.

texte écrit par Marc Pala

Catégorie: 3. Religieux

Bibliographie :

Barbier de Montault Xavier, 1888, Les croix de plomb placées dans les tombeaux en manière de pitacium, Ed. Vve Ducourtieux.

Degua abbé, 1896, Témoignage consigné dans les procès verbaux, XXXI, in BCAN, 2e semestre, Imp. Caillard, Narbonne.



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