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Les métamorphoses de l'opaque / Les verriers (Saint-André-de-Roquelongue)

"Industrie disparue et art oublié. Il est impossible de concevoir un sujet plus sorti de la mémoire des hommes que celui des verreries forestières du Languedoc". Mais depuis une vingtaine d'années, les propos de Saint-Quirin (1905) sont relativisés par une situation en pleine évolution, surtout dans les départements de l'Hérault et du Gard, riches en vestiges et archives, incitant les communes à se regrouper autour de projets de développement comme "le chemin des verriers" (création de musées, aménagement d'anciens ateliers, expérimentations, installation d'artisans du verre...). Même dans les Corbières calcaires, qui n'apparaissent pas comme une terre de prédilection des verriers, des associations s'attèlent à l'étude et à l'inventaire de ce patrimoine méconnu, particulièrement dans le secteur de Fourtou où des gentilhommes ont exercé l'artifice de voirrerye du XVIe au XVIIIe siècle.

Sur la commune de Saint-André-de-Roquelongue, au lieu-dit le Ségala, des défonçages de vignes mirent au jour, vers le début des années 1970, des vestiges de fours pour la poterie et le verre. Cette petite vallée qui s'enfonce dans les flancs gréseux du bois du Vicomte, s'ouvre face au domaine de Pradines où H. Rouzaud signalait les ruines d'une villa gallo-romaine et la présence de sépultures. Entourée de collines couvertes de pins maritimes et mésogéens, la combe du Ségala est dominée au sud par les ruines de l'ermitage Saint-Martin-de-la-Vernède (verna : aulne). En 1181, l'abbaye de Fontfroide, alors en pleine expansion, acheta à Guillaume de Montséret, les bois alentours. La micro-toponymie y signale une combe du Verre et un mont Veyre, à proximité des ermitages Saint-Martin et Saint-Victor, dépendants du monastère. Cette coincidence n'est probablement pas anodine.

Dans ce monde clos, cerné par la forêt et les bêtes sauvages  de La Cour des Loups, à l'abri des vents, l'homme pouvait vivre en quasi autarcie. Il avait à portée de main : les bois pour la chasse et le combustible, une terre fertile pour le fourrage et les céréales (segal : seigle), l'eau de la Fontaine des Tuiles ainsi que de nombreux puits, la garrigue pour ses troupeaux et les minéraux en abondance (silice, chaux, argile) pour exercer son art. Car ces verreries forestières requéraient pour leur fonctionnement l'installation de véritables petits hameaux et la contribution de plusieurs corps de métiers. La découverte parmi les débris de fours de fragments de poteries dont l'usage s'échelonne du Xe au XIVe siècle et de monnaies frappées par Jacques Ier, roi d'Aragon (1213-1276), permet de rattacher l'histoire de cette verrerie au grand essor de l'industrie verrière du Languedoc des XIIe et XIIIe siècles. Certaines de ces installations médiévales ont perduré jusqu'à la Révolution.

Non loin de là, perdus dans le sous-bois, on peut découvrir les vestiges encore significatifs d'un ancien four avec son alandier et son creuset destiné au verre en fusion. Si le souffleur, personnage central de la verrerie, était son âme vitale, le four en constituait le corps, l'athanor dans lequel s'opérait la transmutation de la pierre de grès en verre. De forme circulaire ou oblongue, il était constitué d'une chambre de fusion, chauffée à 1200°, percée de 2 ou 3 ouvreaux par lesquels le souffleur prélevait une petite masse de verre, la "poste", qu'il façonnait avec sa canne et des outils en fer. L'objet fini était disposé dans une arche à recuire, sur l'arrière du four, où il refroidissait doucement à l'abri des chocs thermiques.

Lors de son voyage en Languedoc en 1596, l'étudiant bâlois Thomas Platter, peut-être victime d'une mise en scène, nous a laissé une description originale d'une séance de travail : "Nous y vîmes des gentilhommes en vêtements de velours et de taffetas se tenant devant les fourneaux et faisant le verre. En France à ce qu'on dit, c'est un privilège exclusivement réservé à la noblesse : ainsi les nobles ruinés se laissent employer à cette industrie mais ils ont leurs gens et leurs domestiques qui préparent les matières premières..."  Sur la noblesse du dict mestier, par delà l'appartenance à une classe sociale, nous ne retiendrons ici que l'opinion de certains verriers pour lesquels cette noblesse était avant tout de caractère et reposait principalement sur le mérite et la grandeur liés à l'exercice de ce métier. L'ascèse au fourneau, l'austérité de leur vie, la richesse de traditions imparfaitement connues de nous ont pétri ces hommes qui vivaient isolés dans les garrigues ou au milieu des bois. C'est au cours d'un long apprentissage de dix années que se transmettaient l'art et la science difficiles de verrerie.

Nous ne percerons sans doute jamais les croyances et les rêves de ces verriers des Corbières mais comment dans ces conditions n'auraient-ils pas "admiré la transmutation en lumière, en transparence de plus en plus pure, de leurs humbles matériaux de base ?".

Catégorie: 6. Métiers

Bibliographie:

Foy Danièle, 1989, Le verre médiéval et son artisanat en France méditerranéenne, Ed. CNRS.

Marty Christian, 1972, Domaine de Pradines. Verreries du Ségala, in BCAN, t.34.

Pala Marc, 1995, L'homme et la garrigue, Ed. Amis du Pat. Cult. Sigean-Corbières.

Saint-Quirin, 1985, Les verriers en Languedoc, 1290-1790, Association LaWW

texte écrit par Marc Pala



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