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Les cabanes de Fleury d’Aude / Autour du globe


Un monde se termine aux Cabanes, un autre y commence. Le cours de l'Aude ne matérialise pas seulement la limite départementale, mais deux univers lagunaires qui divergent sous l'influence de l'homme. Au nord, les étangs littoraux héraultais subissent jusque dans les zones désolées des sansouires la pression humaine des villes de Béziers et Montpellier, d'un habitat dense et de stations balnéaires comme  la Grande Motte ou le Cap d'Agde, immeubles-pied-dans-l'eau, H.L.M.-sur-mer, "Floride occitane"… Passées les lagunes tampons de Vendres et le lit de la rivière Aude, les étendues redeviennent plus solitaires et préservées. Le hameau des Cabanes avec ses maisons basses et ses pontons défraîchis se tapit près de l'embouchure du fleuve, entre vignes et prés salés colonisés par les salicornes.

A l'origine, ces rives attirèrent une maigre population de pêcheurs ou de chasseurs qui vivait dans des habitations temporaires bâties en roseaux ou en pisé. Sur Fleury, le hameau se développa vers le début du XXe siècle, en fixant quelques ouvriers agricoles et leur famille dans la proximité des domaines viticoles de Saint-Louis et Le Château. Les années d'après Guerre virent le redémarrage des activités touristiques balnéaires; Saint-Pierre-la-Mer et les Cabanes évacués et en partie rasés par l'armée allemande furent reconstruits en dur. Le camping sauvage qui épousait, le temps d'un été, les pratiques des baraquiers et des cabanaïres se développa dans le sillage d'un tourisme familial, tâtonnant et bon marché. Une technique de pêche traditionnelle  se perpétuait encore couramment sur les graus, les canalets ou les estuaires, elle faisait le bonheur des flâneurs et des vacanciers.

Un grand filet rectangulaire, appelé globe ou encore calen dans la région de Martigues, était tendu, à poste fixe, au travers d'un cours d'eau. Ce filet était monté sur quatre câbles, dits ralingues, qui permettaient sa manipulation. Les deux ralingues latérales (ou armains), perpendiculaires aux rives, s'enroulaient sur des tourniquets actionnés par deux pêcheurs lors de l'immersion ou du levage du filet. Un moteur à explosion puis électrique prit le relais et assure aujourd'hui la levée des derniers globes en service. Les filets placés dans l'estuaire de l'Aude mesurait en moyenne 43 x 21m, ils couvraient environ 900m2. Le calage du filet s'effectuait de façon différente selon l'espèce convoitée, dans le courant et en biais pour le loup,  sur le fond dans la vase pour l'anguille. Mais si l'essentiel des prises était constitué par des muges, on capturait également des flets, soles, aloses, joels... plus rarement des daurades. Lorsque le poisson était emprisonné dans le filet par la remontée des armains, le pêcheur montait dans son négafol (petite embarcation), franchissait la ralingue, puis muni d'une épuisette s'emparait des belles pièces. Il pouvait aussi en relevant le filet devant lui, refouler les prises dans un repli aux mailles plus larges permettant un tri, la fisque (35mm au lieu de 20), et les rejeter ensuite dans le fond de sa barque.

Cette pêche qui prospérait sur la migration des espèces entre mer et lagunes, ou sur les passages en estuaires n'est plus, depuis environ un demi siècle, qu'une activité d'appoint en voie de disparition. Elle fut pourtant présente jusque sur le moindre cours d'eau; en 1897, un globe est signalé sur le ruisseau qui sourd de la Font Estramer, près de Salses. Activité de retraités, "d'irréductibles pêcheurs", d'ultimes détenteurs de ce savoir-faire qui se battent comme à Martigues ou Port-de-Bouc pour la survie des derniers calens. A Fleury, depuis peu, le voyage autour du globe n'est plus qu'un souvenir. Celui du canal de Caronte à Martigues fonctionne quotidiennement tout autant dans un but de conservation patrimoniale que pour la poutargue, ce caviar provençal. Malgré la crise qu'elle traverse, cette pêche lagunaire, dont le globe ou le carrelet ne sont qu'une des multiples variantes inventives, entrées en résistance, représente "encore une force économique considérable sur le plan méditerranéen et un espoir plus grand si elle sait se réorganiser". Surtout dans une conjoncture où  le sur équipement de la pêche industrielle  frise l'obsolescence.

Face à la démesure et à la folie croissante de la vie moderne, le pays des  Cabanes constitue un inter monde, situé à mi-chemin entre les habitats frustes des premières populations vivant en économie presque fermée et nos villages. Si celles de Fleury sont certes éloignées de l'existence précaire, ne sont plus en rupture marquée avec nos modes de vie - le confort, l'automobile, la télévision... ayant fait depuis longtemps leur entrée - elles conservent malgré tout quelque chose de l'esprit cabanier. D'un héritage, qui tout en résistant aux urbanisations imposées, perpétue un modèle de vie local, une sorte de retour aux sources, à une existence plus instinctive et paisible moyennant quoi ces hommes et ces femmes peuvent continuer à puiser "leur bonheur aux seuls reflets de l'eau immobile".



Bibliographie :

Quignard Jean-Pierre et Autem Michel, 1983, Description de quelques pêcheries d'estuaire et paralagunaires du Languedoc (Globes, carrelets, ganguis), Science et pêche, 323, 1-21.

Sur la lagune comme cosmos, voir :

Vinas André, 1994, A la recherche d'étangs perdus, Ed. De l'Envol

Baissette Gaston, 1967, L'étang de l'or, Julliard.

"...le caractère des habitants portait la marque d'une double influence : un climat heureux, une existence précaire... Ils plaquaient tout, atteignaient le grand zéro de l'équilibre au croisement des axes de l'espoir et du désespoir et recommençaient un autre monde où ne luisaient ni le lendemain, ni l'attente du meilleur ou du pire, ni la famille, ni les rapports humains. Ils troquaient le petit horizon contre le grand horizon... Cette mort ensoleillée des choses, c'était leur vie".

Et sur le refus de toutes les Floride, "des charognards du commerce" et de "la vérole de l'argent", voir :

Temple Frédéric-Jacques, 1981, Un cimetière indien, Albin Michel.





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