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De quelques grottes de La Clape / Le loup et la tortue
(Armissan, Narbonne)


Ce pourrait être une fable de La Fontaine, mais dans notre histoire les personnages se côtoient sans vraiment se rencontrer. Le loup a complètement disparu du pays, pourtant sa présence hante toujours la microtoponymie des combes et des serres (Trou du Loup, Crêt de la Louve, La Loubière...). Quant à notre cistude (du lat. testa "carapace"), l'emys europaea des cours d'eau et des mares du Midi, contrairement au redouté prédateur elle se maintient, mais, méfiante et craintive, se fait plutôt discrète. A ce rapide inventaire, ajoutons que les vieilles racines du langage renforcent parfois l'ambiguïté des choses, introduisent des doutes jusque dans le paysage. Ainsi la racine préceltique Lup / Lop, proche homophoniquement de loup, connaît aussi le sens de crête de montagne ou de lieu rocailleux dans l'occitan loba, lobal.  Mais le pays des pierres sauvages n'est-il pas aussi celui des loups ? Dans la lumière crue de midi ou dans l'ombre des grottes, les pierres parfois revêtent d'étranges silhouettes. "Tantôt, la roche est polie et massive, tantôt fantastiquement déchiquetée".

Il était donc une fois, un féru d'archéologie, anthropologue de surcroît, qui fouillait des grottes dans le massif de La Clape. Il aimait cette garrigue à nulle autre comparable, et devenait volontiers poète dans ses approches : "Avec sa topographie si tourmentée, ses paysages clairs, pareils à ceux de la Grèce, sa végétation spéciale, La Clape n'est semblable à rien. En vain, l'on chercherait ailleurs la pureté de ses profils, les fortes senteurs de sa flore odorante, ses teintes insaisissables, changeantes à toutes les heures du jour qui font le désespoir du peintre impuissant à les fixer". Philippe Héléna (1898-1961) et son père Théophile (1871-1952) prospectèrent sans relâche les garrigues de la Narbonnaise de Leucate jusqu'à Bize et accumulèrent une importante collection couvrant une grande partie de la Préhistoire et de l'Antiquité. Vers le début des années 1920, Philippe fouilla une riche sépulture collective "absolument intacte" au Trou du Loup sur la commune d'Armissan. Parmi le "splendide mobilier" funéraire recueilli : belles pointes de flèches, longues lames de silex, perles en serpentines et turquoises, palettes à tatouer... il attribua une place toute particulière à une plaque vertébrale d'emys d'assez grande proportion. Elle venait s'ajouter à d'autres fragments de plastrons de tortues palustres recueillis dans les grottes de la Terrasse et des Tortues, aux Monges, ainsi qu'à des "amulettes en forme de tortues"  livrées par les cavités du Ruisseau et de la Falaise, au lieu-dit Vignes-Perdues, et par celle de la Hache près de Moujan dans la vallée de Combe-Longue.

A partir de là, l'imagination s'enflamma. Il n'hésita pas à attribuer à toutes ces trouvailles un caractère cultuel ou rituel, à les considérer  "comme l'indice d'une religion dans laquelle la tortue divinisée aurait joué un certain rôle". Toutes ces grottes sépulcrales témoignaient pour lui de "l'existence du totémisme de la tortue à la fin de l'âge de pierre" dans la région narbonnaise. Il est vrai que l'époque était favorable à un totémisme originel, porté par de fortes personnalités, telles S. Freud, E. Durkheim, J.G. Frazer... ce dernier multipliant les exemples de clans ou tribus se revendiquant d'un ancêtre tortue, vénéré et redouté. Il était tentant et surtout facile d'envisager l'hypothèse totémique comme la forme primitive de toute religion ou un modèle d'organisation pour les sociétés humaines.

De ces restes de tortues mis au jour et interprétés par Ph. Héléna, les préhistoriens ne retiennent aujourd'hui que le particularisme de groupes locaux pour lesquels cet animal a dû jouer un important rôle dans l'économie alimentaire et cultuelle. Sans référence aucune à une théorie totémique. Quant aux prétendues amulettes en os très stylisées, dans lesquelles Héléna voyait des "idoles en forme de tortues", elles ont été, depuis lors, rebaptisées boutons hémisphériques à un ou deux appendices polaires. Il en a été trouvé d'aspect équivalent en Espagne, au Portugal, en Sardaigne... qui conservent parfois, en hommage à leur découvreur, leur appellation de "boutons en tortue". La Préhistoire reste néanmoins tributaire de ces premiers chercheurs méthodiques qui ont collecté dans ces grottes de La Clape la plus forte densité de mobilier caractérisant le foyer Campaniforme pyrénaïque. Qualifiée, au temps d'Héléna d' Enéolithique, cette culture, du début du deuxième millénaire avant notre ère, assura la transition entre le Chalcolithique et le Bronze ancien.

La Clape n'abrita pas de tribus d'Emides pratiquant un culte totémique de la tortue. C'est fort dommage pour le folklore. Mais l'archéologie, consciente de détruire son document en le fouillant, en a tiré un savoir faire qui l'empêche de crier trop vite au loup par crainte de trahir ces hommes qui n'ont laissé que des "messages tronqués".



Bibliographie :

Héléna Philippe, 1922-1923, Amulettes néolithiques, le culte de la Tortue, BCAN, t.XV.

Héléna Philippe, 1925, Le totémisme de la tortue dans les ossuaires énéolithiques de La Clape, Revue anthropologique, 35, 165-175.

La collection Héléna, étudiée et reclassée par J. Guilaine, enrichira le futur musée de la Romanité.

Dans un opuscule aujourd'hui introuvable, intitulé "Les Grottes sépulcrales de La Clape", Ph. Héléna révèle sa fascination pour La Clape dans un style poétique où quelques adverbes (fantastiquement, étrangement...) fleurent un mystère, palpable dans ses paysages. Dans ce chaos rocheux, l'homme a aménagé des niches, pour une courte vie et le sommeil de la mort, entre le sec et l'humide, le désert et l'oasis. "Partout le roc affleure le sol stérile, revêtu de plantes herbacées... Ailleurs, enfin, un défilé, d'abord étroit et encaissé, débouche brusquement au confluent de plusieurs vallons dans un cirque pittoresque et charmant, véritable oasis dans un désert de pierre".





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