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Le canal de la Robine / Nostalgie maritime
(Narbonne...)


Au Ve siècle, le poète Sidoine Apollinaire rendit un vibrant hommage à Narbonne "riche de santé, belle à voir", chantant ses fastueux monuments mais aussi ses étangs, ses îles, son fleuve, ses marchandises, son port de haute mer. Il soulignait ainsi la vocation maritime de la ville qu'un de ses prédécesseurs, le géographe grec Strabon, décrivait, comme "le port de la Celtique entière, tant il surpasse les autres".

Tout au long des siècles jusqu'au funeste XVIIIe, Narbonne, avec des fortunes diverses,  ne cessa jamais d'être un port. En 1316, une catastrophique crue de l'Aude ravagea la ville et détourna le fleuve vers le nord. L'abandon définitif du lit urbain, bouleversa le réseau complexe des robines (de l'oc. robina : canal) et priva Narbonne d'une de ses principales artères vitales. Pour tenter de conserver malgré tout leur ouverture sur la mer, les Narbonnais cherchèrent à améliorer leur dispositif portuaire en aménageant un des anciens cours de l'Aude. Ce canal, appelé Robine, dont le lit, d'une trentaine de km, fut à plusieurs reprises modifié, joignait l'Aude, par Narbonne et les étangs, au grau de la Nouvelle, alors simple passe sur une côte déserte.

Au XVIIe, Narbonne qui paria sur la reprise économique et le commerce maritime fut confrontée à l'état défectueux d'une Robine, peu profonde, en partie comblée par la vase et les éboulements. Les tartanes de haute mer cessèrent de remonter jusqu'au port urbain qui, face à l'accroissement du trafic, devint un simple centre de transbordement, tout entier accaparé par la gestion des navettes, entre la ville et son grau, rendu peu attractif par son absence d'infrastructures; "le plus dangereux trou qu'il y ait sur les plages du Golfe de Lion", selon ses concurrents et détracteurs. L'inauguration en 1681, du canal des Deux Mers (Canal du Midi), qui mettait en communication l'océan Atlantique et la Méditerranée, Bordeaux et Sète, porta un coup fatal au vieil organisme portuaire de Narbonne. Mais les Narbonnais croyaient toujours en leur destin maritime et virent dans leur jonction au canal du Midi une planche de salut. Ils rêvèrent leur cité érigée en un grand carrefour de voies d'eau. Leur projet s'inscrivait dans une vaste perspective, la restauration de la Robine, élargie, recreusée, redressée se concevait désormais prolongée jusqu'en Roussillon, à travers l'étang de La Palme. Cette nouvelle artère à vocation commerciale et militaire, était censée détourner une partie de la prospérité générée par le canal des Deux Mers au profit d'un axe Narbonne-Perpignan.

Mais la mise en service vers 1787 du canal de jonction qui relie le canal du Midi (Port-la-Robine) à l'Aude (épanchoir de Gailhousty) puis celui-ci par la Robine à Narbonne, arriva trop tard. La conjoncture avait changé, le déclin du commerce narbonnais était consommé et Narbonne, épuisée d'avoir voulu rester un port.

Malgré la concurrence croissante de la route puis du chemin de fer, la Robine connut, après le déclin du commerce du grain, un regain momentané d'activité au XIXe siècle grâce à une économie viticole au faîte de sa prospérité. Les cartes postales du début du siècle dernier rendent compte de cette fébrilité des quais de Lorraine et d'Alsace, où s'alignent, derrière péniches, demi-muids et futaille, les chais de négociants et les fabriques des tonneliers. Avec la mise en chômage des derniers pinardiers, dans les années 1970-1980, la batellerie commerciale cessa de fréquenter les canaux, investis par le tourisme fluvial. La Robine n'est plus qu'un paisible chemin d'eau, des rives duquel ont disparu les dynasties barquières, les haleurs, les portefaix, les cordiers..., l'éclusier même.

Plus personne le long des berges, si ce n'est quelque écho, pour relayer les nouvelles. Des berges désormais, livrées, corps et âme, à la flânerie... A Narbonne, passés le moulin du Gua, l'écluse, le pont des Marchands, les Barques et l'ombre généreuse de ses platanes, poussons jusqu'au théâtre où ressurgit le vieux rêve maritime d'un port fluvial, poursuivons hors de la ville, par-delà les vignes rongées par le sel, d'anciennes salines et les rizières, jusqu'aux régions paresseuses où les flots de l'Atax se figèrent, où la domination de l'homme hésite à son tour. Tout s'y résorbe dans l'horizontal, dans la force tranquille de vastes étendues. La bande étroite du canal, couplée au rail, frangée d'écume, s'avance au milieu des lagunes, bordée sur ses deux berges par les eaux sombres des étangs : la Sèche, l'Ayrolle, le Charlot... Sur ces basses terres à la maigre végétation, point de demi-mesure, ni de modération mais des contrastes marqués entre un calme plat et le vent qui, soudain, s'élève et plie le monde sous ses rafales.

Ainsi, entre ville et port, le canal, oublieux des jonctions, se fige pour un temps dans les illusions des reflets et la platitude immobile d'un monde flottant. Il ne trafique plus le vin ni le grain mais de pleines cargaisons d'humeurs rêveuses et vagabondes.


Bibliographie :

Sidoine Apollinaire, Poèmes, XXIII, 37-47, trad.  A. Loyen, Paris, Les Belles Lettres, 1961.

Ausonne, Tableau des villes célèbres, 19, v. 18-21, trad. N. Jasinski, Paris, 1934.

Strabon, Géographie, IV, 1, 6 et 12, trad. A. Tardieu, Hachette, 1867.

Larguier Gilbert, Le drap et le grain en Languedoc, Presses Universitaires de Perpignan, 1996.

Charreteur Agathe, La Robine et la vie des gens du canal, Les carnets du Parc n°4, PNR Narbonne, 2005





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