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Les capitelles de La Palme / Vivre au milieu des pierres.


Un vieux carrier me racontait que dans les années 1960, "une femna que fasia una enquèsta, una japonesa cresi (?)...," cherchait à rencontrer des anciens du village pour qu'ils lui montrent les capitelles. "Las capitèlas, de qu'es aquò ? Aqui persona avia entendu parlar de capitèla!". Ce terme, à l'époque, était effectivement inconnu des parlers locaux. Ce sont les sociétés savantes qui vers le début du siècle dernier l'importèrent des Cévennes. Sous leur influence, il finit progressivement par s'imposer comme le nom générique de toutes les cabanes en pierre sèche. A La Palme comme à Fitou ou Leucate, on disait cabanòt.

Il est vrai qu'on n'en parlait pas trop de ces cabanons, à demi ruinés, perdus dans leurs amas de pierrailles envahis par le kermès. La plupart d'entre eux se trouve au nord du village, sur les coteaux ensoleillés de la Garrigue Haute, en des lieux-dits évocateurs : Combe de l'Olivier, Plat de la Serre, Plat des Graniers, Chante Perdrix, Les Trois Jasses... Ils ne furent pas l'oeuvre comme on le croit, à tort, des bergers mobiles comme leurs troupeaux mais des agriculteurs qui colonisèrent ces garrigues pierreuses dont les amples ondulations s'évasent paisiblement vers les étangs.

Au XVIIIe siècle, à La Palme comme partout en Corbières les troupeaux étaient encore la principale richesse des villages. La Palme comptait près d'une vingtaine de bergeries pour un cheptel d'environ 4000 bêtes à laine et d'un millier de chèvres qui déambulaient sur la Garrigue Haute et dans le quartier de Saint-Pancrace, traditionnellement réservés à la dépaissance des ovins. Vers la fin de l'Ancien Régime, les fondements de l'économie agro-pastorale commencèrent à chanceler, une série de lois favorables aux défricheurs entraîna de graves conflits entre éleveurs et agriculteurs. La Révolution précipita le mouvement en ouvrant la porte des landes aux manoeuvriers. Les notables, principaux propriétaires des troupeaux, légiférèrent à tour de bras pour réfréner l'ardeur de tous ces pauvres hères qui, souvent pour le compte d'un patron, se jetèrent, la hache et le pic à la main, sur les vacants communaux. Sous une poussée démographique galopante, ces cultivateurs de misère dépierrèrent, avec l'aissada et le bigòs (houes) toutes ces petites parcelles, amoncelant dans les garrigues : terrasses, murs, clapas et cabanes. Pour nourrir toutes ces bouches - la population de La Palme passa de 750 habitants en 1846 à 1718 en 1886 - les villageois défrichèrent sans relâche pour semer le grain, planter l'olivier puis la vigne qui telle une transgression marine finit par envahir la plaine et submerger les coteaux, repoussant les derniers troupeaux sur les sols sans espoir.

L'architecture en pierre sèche, dont la capitelle est un des plus remarquables fleurons, s'est transmise et développée dans ce contexte de colonisation des terres extrêmes. C'est une architecture d'autosuffisance, un art de la nécessité, qui a puisé sur place dans un matériau abondant et gratuit, mis en forme par une main d'oeuvre familiale pas encore obsédée par le temps ni le rendement mais ne ménageant ni sa sueur, ni sa patience. A La Palme beaucoup de défricheurs furent aussi des carriers, des hommes de métier qui surent mettre en oeuvre avec des trésors d'ingéniosité et un grand art de la variante ce matériau de pauvres. A la différence des carriers de Port-la-Nouvelle  qui multiplièrent les cabanons de facture classique, 15 m2 de surface au sol, aux murs montés à la chaux et à toitures de tuiles, ceux de La Palme participèrent, comme leurs voisins de Fitou et plus modestement de Leucate, d'un courant ou d'un style de construction qui propagea la technique de peyres essuytes, aujourd'hui dite pierre sèche ou écrue. La majorité de ces cabanes affecte une forme quadrangulaire, leurs couvertures reposent sur des voûtes en tas de charge ou des arcs à claveaux; la porte d'entrée est surmontée d'un linteau monolithe et l'intérieur s'agrémente de placards muraux, parfois d'une cheminée ou d'un trastet (mezzanine). La quinzaine de capitelles, voire plus, répertoriées sur La Palme, révèle par la qualité de l'ouvrage l'intervention de maçons spécialisés, en l'occurrence ici des carriers, qui maîtrisaient avec bonheur l'ensemble des techniques destinées à ce type de construction. La voûte en encorbellement qui surmonte les cabanes d'une ancienne carrière, située au-dessus des salins, confine à la perfection.

L'harmonie, la beauté des paysages lithiques résultent d'une succession d'initiatives et d'accords longuement mûris entre l'homme et son milieu. Cette étroite collaboration a permis de hisser, ce qui n'était qu'un lieu, au rang de paysage. La cabane fut le creuset intime où s'élabora cette féconde cohabitation car elle est un microcosme, un concentré de tout le reste. Réinvestie par la démarche patrimoniale, elle est devenue un vert paradigme où convergent tous les éléments disloqués d'une convivialité perdue.





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