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Mineur d'ocre / Un oubli profond (Leucate).



La mine se trouvait au sud du village, vers le secteur des Counilhères. Elle s'ouvrait sur un puits d'une douzaine de mètres de profondeur à proximité d'une petite baraque de chantier. Au fond rayonnaient quelques galeries, sommairement étayées, pas très longues mais relativement étroites et basses. "Actuellement c'est tout rasé, vous n'y trouverez rien, m'avertit Charles Rouffia, on l'a enterrée avec des ordures ménagères". A l'âge de 18 ans, au sortir de la guerre, entre 1946 et 1948, il y avait travaillé presque deux ans, pour le compte d'une entreprise marseillaise. Cette société avait relancé l'exploitation des anciennes mines d'ocre de Leucate dont elle détenait des relevés topographiques très précis. "Quand on suivait une veine, on tombait parfois sur une vieille galerie, ça devait dater de longtemps parce que je ne l'avais jamais entendu dire. Tandis que la mine de fer, j'en avais entendu parler, elle avait été exploitée jusqu'avant la guerre de 14, par un Alsacien mais je crois que c'était un Allemand ; quand la guerre a été déclarée, ça était fini !"
L'ocre reste intimement associée aux roches ferriques. C'est une argile pure amalgamée de sable et colorée par des oxydes de fer : l’hématite pour l'ocre rouge et la goethite pour la jaune. Le minerai de fer, associé aux ocres, s'est déposé dans de petits amas de remplissage dans les calcaires du Jurassique. Ces filons assez superficiels affleurent en Corbières littorales à Feuilla, Treilles, Fitou et Leucate principalement. Les sites majeurs, le long du rivage du Paurel, aux Sidrières et aux Courbatières, furent probablement exploités dès l'Antiquité et dans le courant du Moyen Age sous forme de carrière à ciel ouvert et de minières. Ils furent épuisés au début du XXe siècle. De petites mines d'ocre jaune assurèrent le relais jusque vers le milieu des années 1950. Utilisé comme agent colorant dans des domaines aussi variés que les peintures, les enduits, les cosmétiques ou l'alimentation, l'ocre est intensivement exploitée dès la fin du XVIIIe siècle dans le pays d'Apt. La production méridionale, en pleine industrialisation, atteint son apogée dans les années 1920 puis périclite, laminée par la crise économique de 1929 et l'arrivée sur le marché des colorants synthétiques.
La réouverture des mines de Leucate se situe dans ce contexte de crise mais elle fut rendue possible par un effet de mode pour les pigments naturels dont on semblait redécouvrir le pouvoir colorant, la résistance et l'inaltérabilité. Elle bénéficiait aussi des conditions de travail très prolétariennes dans lesquelles était maintenu le personnel. "C'était une mine, une vraie mais on était payé en carrière, vous voyez ?" Et Charles Rouffia de poursuivre : "On travaillait comme au XIXe siècle et encore! C'est-à-dire tout à la main, tout à la pioche, la pelle et la brouette. On s'éclairait à la lampe à acétylène. Pas de rail, pas de wagonnet, tout se faisait à la brouette. On avait installé une chèvre, trois perches au dessus du puits avec une poulie, un palan et on montait le minerai dans des couffins en alfa. On était pas cinquante ! On était trois à travailler. Y'avait un mineur à temps plein qui piochait toute la journée, fallait pas lui demander de faire autre chose... Nous, on faisait tous les autres travaux, on piochait, on ramassait le minerai mais en même temps on charriait au pied du puits... on le montait. On en faisait un tas à l'extérieur et quand ce tas était assez important, on remplissait un wagon de 25 tonnes à peu près tous les mois, ça partait brut d'ici à Marseille. Rien que de la jaune. Le minerai était très propre, très riche en matière, ça représentait une certaine richesse!"
A Marseille, le minerai était traité et commercialisé en tonneaux. L'ocre était lavée à grandes eaux par un passage dans des batardeaux et des bassins de décantation où se déposaient par gravitation sable et résidus boueux. Après séchage au grand air, il était chauffé entre 500 et 850°C dans des fours à calcination. Opération capitale pour fixer la couleur de l'ocre qui varie du jaune clair au marron foncé en fonction de la température et de la durée de cuisson; à partir de 700°, l'ocre jaune vire au rouge. En dernière étape, l'ocre est broyée, tamisée et empaquetée. Si l'ocre fit la prospérité de quelques entreprises, elle fut souvent source de misère pour les ouvriers. A Leucate, les derniers ocriers ne connurent pas la tragédie des effondrements ou des silicoses mais ils travaillaient dans l'air vicié, englués dans le poussier d'une terre grasse, la sorra, qui colorait en jaune la peau et les draps de lit. "C'était gras, voyez, je sais pas comment vous l'expliquer, c'était... et alors attention pour le faire partir, ça tenait, pour se laver les mains, il fallait le javel et tout...". Finalement on préfère oublier...
"Voilà tout ce que je pouvais vous raconter, c'est tout ! Je vais vous dire un truc, à cette époque c'était pas comme maintenant. D'abord, on venait de finir la guerre, il fallait gagner sa vie, j'ai eu l'opportunité de rentrer là dedans. Mais je m'en rappelle pas trop, ça ne m'intéresse plus..."



Bibliographie :

Parmi l'abondante littérature sur l'ocre voir par exemple :
- Serge Bec (sous la direction de), 2002, "Ocre et ocriers du pays d'Apt", Edisud et Parc Naturel Régional du Lubéron.
- Pour le reste, cet article repose sur des recherches de l'auteur et un entretien qui s'est déroulé le 2 juillet 2011, à Leucate, avec Charles Rouffia (1928-2014). Qu'il en soit vivement remercié ainsi que Robert Masquet, le technicien et photographe.
Charles Rouffia s'est fait un peu violence pour revenir sur cette époque difficile de la mine, et de la vigne qu'il reprend après son service militaire. Il préférait de loin évoquer ses passions pour l'étang, la pêche et l'ostréiculture dont il fut un des pionniers à Leucate. "C'était en 1963, je n'étais pas tout jeune, j'avais 33 ans".
- Sur les mines de fer du littoral (Leucate, Treilles et Fitou), quelque peu oubliées dans les dernières publications sur la métallurgie en Corbières, rappelons qu'elles figuraient encore dans les possessions et les projets "grandioses" de Rémy Jacomy, véritable capitaine d'industrie, qui fut l'initiateur d'un regroupement métallurgique régional (mines et forges) au début du Second Empire. Fitou et Treilles firent l'objet de sondages et d'exploitation métallifère dans la première moitié du XXe siècle. A Feuilla, l'ocre était tirée de petites carrières situées vers le haut du village.



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