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Le pic Saint-Victor / La montagne de verre (Fontjoncouse)



Bien que situé sur la commune de Fontjoncouse, le pic Saint-Victor "appartient" en propre aux Corbières littorales. Il est familier de tous ceux qui remontent la vallée de la Berre par la D 611. A hauteur de Gléon, il surgit en avant de la route comme "une sentinelle géante" qui domine de sa forme pyramidale toute la contrée. Depuis les étangs et la mer, sa cime acérée se démarque sur l'horizon; abordé par le sud, sa silhouette épouse le profil d'un sphinx au visage érodé. Il est, comme le décrit si justement Barthes, "une maîtresse pièce qui frappe d'abord le regard."
Il faut s'en approcher, si possible à pied, pour approfondir ces impressions premières. Le pic semble s'arracher du chaos géologique environnant, le transcender dans une impérieuse élévation. "Mystique" disait Barthes en jouant sur la symbolique de l'or et de l'argent; au soleil couchant, le San Bitou lui apparaissait "comme en une apothéose de victoire". Immergé dans cet environnement tourmenté, on se laisse volontiers envahir par la puissance et la vigueur contenues de tous ces plissements discordants, faillés ou disloqués, par toute cette dynamique en suspension, telle une houle déferlante pour un temps figé. Le Saint-Victor est un lieu de convergence où se réveillent les forces intimes de la pierre. Le vieux socle primaire, terminaison orientale du massif ancien de Mouthoumet, confronté au nord avec une surrection de terrains beaucoup plus récents (première partie du tertiaire) due aux plissements pyrénéens, vient s'enfoncer ou s'écraser sous la nappe des Corbières orientales (première moitié du secondaire). Dans l'épicentre de ces poussées pas de sommets avachis, ni de topographie mollement ondulée, laborieuse, mais des lignes de crêts blancs et abrupts, des combes encaissées, de superbes escarpements, qui titillent tout un onirisme de la volonté de puissance.
Rien d'étonnant à ce que des ermites soient venus s'installer dans ce territoire en genèse où semble se rejouer sur un horizon lithique la séparation douloureuse du ciel et de la terre. Là aussi probablement, "il y eut un soir, il y eut un matin", marqués par une alternance de noms. Vers 963, une "Ecclesia Sancti Victoris" est signalée sur le pic que des documents, certes plus tardifs (1202), appellent Monvetre ou Montevitreo, la montagne de verre. Ce nom énigmatique renvoie peut-être au légendaire des castels de cristal habités par des êtres surnaturels, à une toponymie liée au métier (verrerie)... ou à une symbolique phonologique qui tente d'imposer, à l'époque carolingienne, le patronage chrétien de saint Victor sur ces terres sauvages, autrefois recouvertes de bois. Victor étant au haut Moyen Age, indifféremment dénommé Saint Vestre, Victre, Vistre ou même Vitre, très proches homophoniquement du latin vitrus, vitra, vitrum qui désignent le verre.
Vers la fin du XIIe siècle, Pierre de Lerce, un moine dissident de Fontfroide, fonda sur cet éperon rocheux, déjà consacré par une chapelle, un monastère, "monasterium in loco deserto Sancti Victoris de Montveyre", qui fut rattaché à l'abbaye cistercienne de Saint-Victor de Marseille. Bien qu'excommuniés par l'abbé de Fontfroide, ces quelques moines apostats obtinrent protection ainsi que de nombreuses donations des vicomtes de Narbonne, de la maison de Durban et des seigneurs du pays. Cet établissement eut une durée éphémère, les moines pardonnés retournèrent dans le giron de leur abbaye d'origine. De cette aventure avortée, il ne reste plus sur ce sommet venteux qu'un petit bâtiment semi ruiné, honteusement ravaudé, encadré par une vigie de mauvais goût et un pylône de télécommunication. Comment reconnaître dans cet oubli généralisé, ce prieuré idéalisé par Barthes : "Telle une lampe d'argent, la chapelle dédié au martyr brille au sommet" ? Nous sommes loin de ce mimétisme entrevu de la chapelle et du pic, fondus dans la fonction du sacré ou plus simplement d'une esthétique. On a le don dans ce pays pour dégrader les "hauts lieux" avec les épouvantails peu discrets d'une certaine modernité, que l'on aurait pu avec un peu de conscience paysagère installer ailleurs. Pourtant ce belvédère, l'un des plus beaux du littoral, avec le Montoullié de Périllou et le Tauch, eux aussi curieusement couronnés, méritait mieux. Plusieurs topo-guides classent sa balade avec son point de vue dans les "incontournables" de l'Aude. Du haut de ses 422 mètres, le Saint-Victor tel un vieux géant lithophore toise le monde d'en bas et offre un des plus beaux panorama des Corbières, avec vue sur la Montagne Noire, les étangs et la mer, les Pyrénées et pour le reste quelques bois, le soleil, la pierre, le vent, la dérive d'un rapace... Saint-Victor de l'Aigle, tel fut aussi le nom de la chapelle.
Il faut y venir par un matin limpide, le regard éclairci, pour saisir là-bas sur les étangs, le scintillement des salines comme des reflets de matières vitreuses, de l'herméneutique d'un nom, d'une sublimation cristalline du mont.



Bibliographie :

- Emile Barthes, 1912, "Notre Dame des Oubiels", Caillard, Narbonne
Notre chanoine portelais manie avec aisance la métaphore religieuse. Son esthétique paysagère est rehaussée de hauts lieux marqués par l'empreinte du sacré. C'est la dédicace à Saint-Victor qui (lui) révèle la montagne. Elle s'identifie toute entière à sa dimension religieuse, sa nature même est transfigurée par la théophanie. Elle est transparence (montveyre) de Saint-Victor, elle devient église ou plutôt elle l'était de toute éternité : "Voici de nouveau à l'ouest, le pic St Victor. Plus dégagé à sa base, il paraît comme la flèche d'un gigantesque clocher que la poussée des montagnes voisines aurait enfoui." Et par le jeu des ombres, au couchant, le pic diffuse dans tout le territoire sa bénédiction : "tour à tour lumineuse et obscur, la montagne, vient par bonds allongés, s'abattre sur le littoral méditerranéen".
- Germain Mouynes, 1876-1877, "Cartulaire de Fontjoncouse", in BCAN, t.1, p. 107-341.
- Paul Courrent, 1928, "Saint-Victor et le monastère de Montveyre", in Bull. SESA, t. XXXII, p. 83
"En mars 1197, Gaucerand de Fontjoncouse et Rixlande sa femme donnèrent le pech Saint-Victor de Montveyre à Pierre de Lerce, moine transfuge de Fontfroide." (Arch. Aude, H 211, f. 61)



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