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Le château de Mabille / Monte Sereno




La Roque Longue s’étire tout au long de la route qui conduit du village de Montséret à celui de Saint-André-de-Roquelongue. Si ce dernier s’est emparé du titre en se blasonnant “de Roquelongue”, les Montsérétois sont les véritables enfants de la Roche, venus progressivement s’établir dans la Ville Haute et Basse, au pied d’une imposante forteresse, abandonnée vers le milieu du XVIe siècle. De tous ces châteaux de la terre languedocienne, “fétus de gloire portés jusqu’à nous par l’écume du temps”, dont l’histoire s’étale sur plus d’un demi-millénaire, nous ne possédons qu’une connaissance fragmentaire, en pointillé ; bien des choses restent encore à découvrir sur le terrain et dans les archives.
Abandon, oubli, destruction, en sont le lot commun jusqu’à leur redécouverte récente sous la houlette d’une poignée d’érudits et de passionnés. À Montséret, ils se nomment Louis Lapeyre, Jean-Jacques Immel… Ils ont réconcilié les villageois avec leur passé et le tènement de la Bouiche est redevenu celui du Château, à nouveau sujet d’attention, voire de fierté. Le château de Mabille, dit-on parfois, pour honorer cette jeune femme qui a courageusement défendu son domaine contre les visées expansionnistes de Fontfroide. Avec sa consœur Langarde, la prétendue abbesse fondatrice des Ollieux, elle participe d’une réécriture villageoise qui voudrait que “l’histoire de Montséret soit étroitement liée au destin de femmes hors du commun”. Jean-Louis Escudier, dans une étude sur les cartes postales du village, remarque que la redécouverte photographique des ruines du château, vers la fin des années 1950, est le fruit d’un travail de fond qui va s’extérioriser dans les années 1960 par des fêtes médiévales “remarquables”, organisées par les villageois : reconstitution de scènes d’époque, défilés costumés, feux d’artifice tirés depuis le château… et une dizaine d’années plus tard par deux campagnes de fouilles qui mettront au jour un complexe architectural aux structures chevauchantes pas toujours faciles à interpréter duquel se dégagent néanmoins les vestiges d’un double rempart, d’une porte monumentale, d’un donjon avec citerne, d’une chapelle et d’un habitat accolé aux fortifications. La découverte de monnaies et de nombreux tessons de céramiques communes et hispano-mauresque confirme une datation qui s’étage du XI-XIIe aux XV-XVIe siècles.
Le Monte Sereno fait partie d’un ensemble de châteaux, comme ceux de Saint-Martin de Tocques et de Donos, tenus au XIIe siècle par les seigneurs de Durban qui contrôlaient le carrefour formé par la via Corbariensis “strata publica qui vadit Narbonam et usque ad fluvium Nigella” (vers Lagrasse) et la voie rejoignant, par le défilé du Malpas, la vallée de la Berre. En 1153, une controverse éclata entre la vicomtesse Ermengarde de Narbonne et Guillaume de Durban accusé d’avoir indûment reconstruit le castrum de Montséret que son père Aymeri II lui avait fait détruire. Bernard et Raymond de Durban et leur aïeul Guillaume mirent fin à la querelle en rendant hommage à deux reprises (1153 et 1171), pour le castellum de Monte Sereno, à leur dominae suae Ermengardi. Cette controverse traduit bien le climat de tension qui, tout au long du XIIe siècle, régnait dans la Narbonnaise prise en tenaille entre les maisons de Toulouse et de Barcelone. Les Durban comme les Amat de Montséret furent des clans seigneuriaux dans la mouvance des Trencavel, vicomtes de Carcassonne-Béziers. En 1133, alors que le conflit repreait entre Barcelone et Toulouse, les Trencavel et les seigneurs de Montséret (Bernard Amatus en 1134) qui leur prêtent hommage, se trouvèrent à nouveau adversaires des Narbonnais. Ermengarde, alors enfant, héritière fragile et convoitée, n’avait certainement pas oublié cette épreuve qui faillit lui coûter la vicomté. Elle sut par la suite s’imposer comme une figure politique incontournable
En se promenant sur la Roche, parmi les ruines, “les lambeaux d’un cimetière épars”, on peut certes encore continuer à évoquer tous “ces échos pétrifiés d’un vieux romancero tragique”, ce Jean de Saint-Marsal par exemple, capitaine du duc de Joyeuse, installé en embuscade avec ses “1300 arquebusiers” dans les ruines du château. Prêt, en ce printemps de 1592, à en découdre dans de sanglants affrontements avec les milices protestantes. Une impossible unité… Mais depuis ces hauteurs, “taillées dans l’orgueil et la crainte”, rendues malgré elles “héroïques” et face à ce paysage grandiose, sous ce ciel clair, d’un bleu où toute ombre s’évanouit, tout bruit s’éteint, ce sont de tout autres impressions qui envahissent le promeneur. Car plus qu’un mont réputé vaillant, sûr, solide, toutes ces épithètes vantant une maison forte et les brumeux soucis du monde qui en découlent, il ne reste sur cette roche dénudée, où s’accrochent parmi les ruines quelques touffes de buis et d’alysson épineux, rien d’autre qu’un vent et une lumière. Au nord, l’infini de la vallée aux tons polychromes, à l’est, le moutonnement vert des collines et par dessus tout un grand calme. Le mont et la nue ont fini par se rejoindre au clair miroir de l’esprit.