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Sur la voie des oiseaux / L'Alumenaire (Techniques de chasse à la lampe)




« Il fait froid, le ciel est à la neige, le vent du Nord siffle et vient cingler les visages. Ce soir, c'est un temps d'aluménaïre [...] ''Ne cherche pas trop haut'', dis-je à Maurice qui, de sa bonne lampe, fouille les arbres. Hubert tient une longue tige de tamarin grosse comme le pouce. Mon rôle est de repérer. ''Là, dis-je, sur la branche de droite''. En bout de branche, une boule plus claire, immobile. C'est une grive, plumes ébouriffées pour garder sa chaleur, qui dort. ''Éclaire Maurice !'' La pauvre, éblouie par la lampe, engourdie par le froid, ne voit pas arriver la latte mortelle d'Hubert. ''Et d'une, dit-il, sans cœur''. La chasse se poursuit de bosquet en bosquet avec, bientôt, dans la musette, une bonne douzaine de victimes. Nous ne sommes pas les seuls à traquer les oiseaux. En bas, dans la plaine, dans les haies de cyprès, d'autres, dont on voit le clignotement des lampes, font comme nous ».

Dans ses souvenirs d'enfance, Jean Rivière de Roquefort-des-Corbières évoque les virées nocturnes des alumenaires, ces préadolescents qui traquent les oiseaux à l'aide d'une lampe de poche et d'un bastarot. Sans équivalent en français, ce terme d'alumenaire, construit sur la racine occitane lum : « lumière », désigne une chasse qui se pratique encore vers le milieu du siècle dernier dans la plupart des villages du Midi. Mistral en parle dans Lou Tresor dóu Felibrige, publié en 1878, comme d'une « chasse aux alouettes qui se faisait avec une lanterne et une clochette dans les nuits d'hiver ». En provençal, on dit plutôt un fanfarejaire, de l'oc. anfara : « flamme », pour désigner ces chasseurs nocturnes qui utilisent une torche ou un brandon pour éblouir le gibier lequel est soit assommé avec un bâton, étranglé à la main ou capturé au filet.  Cette casso a la fanfaro ou à la fargato, en français nous disons à la fouée (du latin focus), est l'équivalent terrestre de la pêche au lamparo, sauf que la fargato assimilée à un braconnage est formellement interdite. Elle occupe malgré tout une place de choix dans la vie des garçons d'autrefois. « Cette chasse, ajoute Jean Rivière, je ne la revois pas sans une certaine gêne, comme le remords d'une mauvaise action, un peu comme la profanation de la trêve de la nuit ». Le discours moralisateur de l'instituteur a largement contribué à cette culpabilisation des « garçons buissonniers » et des « petits dénicheurs ». Par la suite les syndicats de chasse se sont évertués à canaliser ces tendances en réorientant ces pratiques prédatrices sur des espèces classées nuisibles ; les pies principalement dont la destruction est encouragée par une rémunération basée sur la présentation d'une paire de pattes.

Cette passion que les clans de garçons vouent aux oiseaux se décline en des savoir-faire qui résument l'essentiel des expériences de l'enfance : observer les mésanges, les rouges-gorges... , imiter le chant de ces « compagnons ordinaires », tailler des sifflets, fouiller les buissons, poser des pièges, grimper aux arbres, quêter des nids..., éprouver le vertige et le goût de la vie sauvage. « Toute une formation de l'enfant, comme l'a montré l'ethnologue Daniel Fabre, qui va de pair avec l'exploration progressive du monde des oiseaux ». Ces quêtes permettent à l'oiseleur de prendre possession de son territoire tout en aiguisant ses connaissances de la nature.  Formatrices de la virilité, elles se déroulent à un moment crucial du développement de l'enfant, elles l'aident à franchir des étapes, à accéder à la maturité et son futur statut d'adulte. Avant de s'intégrer au groupe des adultes, d'occuper une place dans la vie sociale, les garçons, sur les traces de l'oiseau, ont fait leur propre expérience du monde. Une vie à l'écart, entre gojats, à bartasser ou patrouiller dans les buissons ; rampeurs de brousse, grimpeurs de rochers et de murailles, ils s'apparentent, toute proportion gardée, à ces chasseurs noirs, ces jeunes hommes partant à l'aventure pour subir l'initiation, décrit par l'hélléniste Pierre Vidal-Naquet. Ces initiations, en solitaire ou en clan, est-il besoin de le préciser, sont strictement réservées aux garçons. Ce qui fait dire au poète vigneron Simon Miquel que la terre leur appartient. « La terre est au garçon [...] qui refait des gestes anciens qui sont plus forts que lui ». Et d'user de la métaphore du chasseur pour cerner l'émotion poétique : « Réflexe du chasseur / au départ des perdreaux / je défaille ».

La chasse serait-elle, comme l'affirme un de ses adeptes « une manière authentique et unique de se rapporter à la grande Nature » ou « une pratique barbare d'un autre temps » comme se plaisent à le répéter ses détracteurs ? Loin de toute définition abstraite ou grandiloquente de la nature, l'oiseleur expérimente un rapport vital au monde, il tire tout son bénéfice de l'élémentarité. Ce qui fait dire malicieusement à Daniel Fabre « Or la nature c'est, nous le savons, gratter la terre, quêter des nids, lancer des pierres aux oiseaux... »

Notes et Bibliographie

Initié par l'oiseau, le garçon est prêt à suivre le père, à troquer la glu, le filet, le piège… contre le fusil. Finies les chasses nocturnes. « Que de fois, poursuit Jean Rivière, me suis-je levé avant l'aube pour accompagner mon père à l’affût matinal. Sans bruit, d'un pas silencieux, nous allions prendre place dans l'espèra, ce joli nom qui désigne l’affût, l'attente, l'espoir […] Nous étions là, tapis, immobiles dans l'air froid. Le jour ne tardait pas à poindre, gris encore de la nuit et bleu d'un peu de ciel qui attendait la lumière. À l'écoute de l'aube, on sentait la vie autour de nous… »

_ Pierre Rivière, 2016, « Mon vilatge », éd. Association Roquefort et Patrimoine

_ Daniel Fabre, 1986, « La voie des oiseaux, Sur quelques récits d'apprentissage » in l'Homme,

vol 26, n° 99, pp 7-40

_ Pierre Vidal-Naquet, 2005, « Le chasseur noir, Formes de pensée et formes de société dans le
monde grec »
, éd. La Découverte / Poche, n° 194

_ Simon Miquel, 2011, « La terre est au garçon », éd. Cahier de la Salce, Durban-Corbières



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