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Vol de nuit / Le phare aéronautique du Pla des Courtiels (Fitou)





Insignifiants. Mais ce n'est qu'une question de proportion. Face au déploiement des aérogénérateurs qui brassent puissamment l'air sur fond de garrigue et de ciel bleu, le pylône en béton et son transformateur électrique désaffecté semblent de vétustes représentants d'une technologie de nains. Ils sont pourtant les rares témoins d'une épopée aéronautique qui enthousiasma la France de l'entre-deux-guerres.

Dressé sur les hauteurs, au sud-ouest de Fitou, sous la ligne d'éoliennes, ce pylône de 7 ou 8 mètres de haut avec son échelle mangée de rouille et sa plate forme endommagée s'inscrit dans un dense réseau de phares qui guidait de nuit ou par temps de brume les premiers vols postaux en direction du sud, vers l'Espagne, l'Afrique et bien au-delà, l'Amérique du Sud. Dès 1918, les premières liaisons postales sont assurées par de vieux Bréguet 14, des avions militaires rescapés de la Grande Guerre, puis plus tard par des Laté 26. Depuis Toulouse, les pilotes s'élancent en direction de Narbonne, en suivant le canal du Midi puis le littoral méditerranéen vers Perpignan. Le Maroc est atteint en 1919 puis Dakar en 1925… Dans cette aventure, Toulouse s'affirme comme base de la première ligne aérienne régulière, grâce aux efforts d'industriels comme Pierre Latécoère et d'organisateurs comme Didier Daurat, le redouté chef de la compagnie, qui servit de modèle pour ses « figures de chef » à Saint-Exupéry. En 1927, les vols de nuit s'imposent à l'aviation commerciale. « C'est pour nous une question de vie ou de mort, fait dire Saint-Exupéry à l'un de ses héros, puisque nous perdons chaque nuit l'avance gagnée pendant le jour, sur le chemin de fer et les navires ». Pour la sécurité des pilotes, mais aussi pour gagner du temps, la Compagnie Générale de l'Aéropostale jalonne les grandes routes aériennes de phares aéronautiques de puissance variable, à longue ou moyenne portée, en fonction de l'importance des sites survolés : des aérodromes, un important carrefour ou un simple phare de balisage. Aujourd'hui, il ne reste plus que de rares témoins, plus ou moins oubliés ou délabrés, de ces repères de navigation aérienne à vue : phares du Perthus, de Fitou, de Sallèles-d'Aude, de Lézignan-Corbières et de Montferrand (Aude), le seul ayant fait l'objet d'une restauration. Ce réseau de phares aéronautiques n'a fonctionné qu'une dizaine d'années.

Le phare de jalonnement de Fitou fonctionne dans un premier temps à l'acétylène, soit 20 à 25 km de portée. Quelques heures avant le passage de l'avion, l'ordre d'allumage du phare, envoyé par l'aérodrome de Perpignan, chargé de la connexion de l'ensemble du réseau sud, est communiqué par télégramme au garde champêtre, voire à l'instituteur, du village concerné. À Fitou, c'est un blessé de la Grande Guerre, Henri Provot, qui est préposé à l'allumage. Par la suite l'installation est électrifiée, le phare alimenté par un néon émet une lumière rouge orangé apte à percer les brumes, sa portée atteint les 40 km. L'éclat de ces phares est régulièrement interrompu par l'émission d'une lettre morse renseignant le pilote sur sa localisation et la route à suivre. Lézignan-Corbières a pour code la lettre C (_ . _ .), Sallèles d'Aude, la lettre K (_ . _ ), Fleury, la lettre V (. . . _ ) et N (_ .) pour Fitou. Dans la deuxième moitié des années 1930, ce dispositif de feux rapprochés, disposés tout au long du parcours devient obsolète. L'ancien système de navigation à vue est avantageusement remplacé par les communications radiotélégraphiques (TSF).

Mais « l'esprit de la ligne » reste le même. Le courrier doit passer sans retard et par tous les temps. Les pilotes sont jeunes, motivés, téméraires, ils font leur boulot avec cœur et passion. Les romans de Saint-Exupéry exaltent ces valeurs de fraternité et de dépassement de soi exigées par la CGA. Courrier Sud paru en 1929 et Vol de nuit en 1931 sont des hommages au boss, à Didier Daurat, celui qui répond aux éblouissantes démonstrations de pilotage de Mermoz, dit l'Archange, par un sec : « Je n'ai pas besoin d'artistes de cirque, mais de conducteurs d'autobus. On vous dressera ! ». Le pylône du Pla des Courtiels à Fitou, est néanmoins beaucoup plus qu'un rappel d'une saga commerciale ; en tant que dernier témoin de l'histoire de l'aéropostale, il est « le chant mineur d'un courrier jeté en flèche aveugle vers les obstacles de la nuit », le symbole d'une philosophie du dépassement. L'humanisme « transcendantal » de Saint-Exupéry s'exprime par la bouche de son directeur de compagnie : « Je n'aime pas l'homme, j'aime ce qui le dévore… il faut le pousser vers une vie plus forte ». Vers cette froide ascèse du détachement qui conclut Courrier Sud : « Pilote tué, avion brisé, courrier intact stop. Continue sur Dakar ».

Courrier en route. Lutter de vitesse. Passer à tout prix. Jamais renoncer. « Si je ne secoue pas mes hommes, la nuit toujours les inquiétera ».

Vol de nuit. Suivre la pâle lueur des phares. « D'un bout à l'autre de la ligne sous la même voûte profonde ». Survoler Fitou, atteindre Barcelone puis Tanger, Dakar, Santiago du Chili. Avec la nuit pour demeure.

Notes et Bibliographie

L'esprit de la ligne, popularisé par l'exploit de ses pilotes et des figures emblématiques comme Mermoz, Saint-Exupéry ou Guillaumet, aura permis à la CGA de s'affirmer en se démarquant de ses concurrents. Mais non sans sacrifices. La ligne Toulouse-Santiago du Chili a couté la vie à une centaine de pilotes, des « défricheurs », dont Mermoz en 1936.

_ Antoine de Saint-Exupéry, 1972, « Vol de nuit », Folio, Gallimard

_ Antoine de Saint-Exupéry, 1990, « Courrier Sud », Folio, Gallimard

_ José le Boucher, 1934, « Les aéroports modernes » in La Science et la Vie, t. XLV, n° 202

_ Jean-Christophe Martineau, 1995, « Coupons moteur arrière droit, il y a 60 ans Mermoz » in Notre
Temps, n° 324

Voir aussi en ligne : Phare aéronautique, Aérostèles…





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