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Acheminement de la parole / Les tours du télégraphe Chappe (Narbonne, Peyriac-de-Mer, Sigean, Fitou)




Pendant des siècles, le courrier et les nouvelles sont acheminés au rythme lent du cheval et des diligences des messageries impériales ou royales. Le chemin de la Poste avec son service régulier de courrier atteint Narbonne en 1537. La carte de Roussel, établie vers 1718, en détaille les relais ; à partir de Narbonne ils jalonnent la voie d'Espagne : Prat-de-Cest, Villefalse, les Cabanes de La Palme puis celles de Fitou, Salses…

En 1792, sous la pression des guerres révolutionnaires, de la « Patrie en danger », le pouvoir central est en quête d'un moyen de communication sûr, efficace, discret et rapide. Un jeune physicien, Claude Chappe, propose à l'Assemblée Législative un projet, bien avancé, de transmission des informations par signaux optiques, nommé par lui Thélégraphe ou encore Tachygraphe. Très favorablement accueilli par la Convention, ce projet se concrétise rapidement. Une première ligne composée de relais optique, distants de 10 à 20 km selon les aléas du relief, est en service, dès 1793, entre Paris et Lille, ville stratégique sur la frontière nord-est. L'année suivante, moins d'une heure après l’événement, les Parisiens sont informés d'une importante victoire sur les Autrichiens. Ces succès techniques encouragent la création d'autres lignes en partance de Paris, vers Strasbourg, Lyon, Marseille… En 1832, Narbonne est reliée au réseau, via Avignon, puis à Toulouse et Bordeaux, deux ans plus tard. Le tronçon Narbonne-Perpignan n'est en service qu'à partir de 1840. Il bénéficie d'un nouveau système de transmission plus simple, dit horizontal, qui est testé avec succès sur cette portion de ligne. Mis au point par Gabriel Flocon, un administrateur du télégraphe, ce prototype expérimental, jugé performant, est généralisé à l'ensemble du territoire français. Au maximum de son extension, vers 1850, le système Chappe comptabilise 534 tours pour environ 5000 km de réseau. Depuis Paris, une dépêche met en moyenne 4h30 pour atteindre Narbonne. Elle voyage de relais en relais, au gré de l'agitation « cabalistique » des bras de la machinerie optique. Les différentes positions dessinées par ces bras de bois articulés de 4 mètres de long composent un code très précis de signaux visuels à décrypter. Si ce langage optique paraît abscons pour les non-initiés, il n'en réfère pas moins à « une langue nouvelle, simple et exacte, qui rend l'expression d'un mot ou d'une phrase par un seul signe » commente un rapport des sciences physiques de l'époque. Mais ce premier réseau structuré de télécommunications malgré son efficacité est de courte durée, à peine plus d'un demi-siècle. Encore plus brève est la vie de la ligne Narbonne-Perpignan qui ne fonctionne que de 1840 à 1858, moins de vingt ans. Dès son apogée le réseau est menacé par une nouvelle invention, le télégraphe électrique mis au point par Samuel Morse en 1837. L'invention arrive en France en 1844, et dans l'Aude en 1853. Les tours sont rapidement abandonnées, les mécanismes, le mobilier et la plupart des bâtiments sont vendus aux enchères par le service des Domaines.

Entre Narbonne et Perpignan, les tours carrées du télégraphe qui se déploient sur des hauteurs en bordure de la voie littorale : Jonquières (à l'est de Rochegrise, alt. 142), Peyriac-de-Mer (au sud du village, sur La Bade, alt. 58), Sigean sud (lieu-dit Le Télégraphe, alt. 109), Fitou nord (La Joncasse, alt. 72) et Fitou sud (Serre du Scorpion, alt. 128), Salses (Garrieux)… orphelines de leur sémaphore, s'étiolent comme de vieux moulins désailés. Excepté le poste n° 2 de Jonquières reconstruit en 1989 et équipé d'un nouveau mécanisme optique, dans une démarche patrimoniale, tout le reste s'effondre ou s'effiloche tranquillement...

Les nouvelles qui transitent par cette éphémère ligne Narbonne-Perpignan échappent totalement aux opérateurs télégraphiques, car les signaux sont codés et l'information strictement confidentielle. Leur rôle consiste à transmettre le plus fidèlement possible les 92 signes qui forment les messages. Et gare aux erreurs, durement sanctionnées. Du lever du soleil à son coucher, longue vue en main, les stationnaires, le regard fixé sur l'horizon nord, guettent le moindre mouvement des bras articulés. En 1847, Flaubert, au cours d'un voyage en Bretagne, évoque la vie de ces stationnaires. « Quelle drôle de vie que celle de l'homme qui reste là dans sa petite cabane à faire mouvoir ces deux perches et à tirer sur ces ficelles, rouages intelligents d'une machine muette pour lui. Il peut mourir sans connaître un seul des évènements qu'il a appris, un seul mot de tous ceux qu'il aura dits. Le but ? Le sens ? Qui le sait ? »

Au pied du Télégraphe, la vie se déroule insouciante, un paysan travaille dans son champ, au loin une charrette soulève un nuage de poussière alors que défilent les nouvelles codées : la révolution de 1848, la chute de Louis-Phillipe, le coup d'État de Napoléon III, la guerre de Crimée, le siège de Sébastopol…  « On voit se tourmenter quatre bâtons noirs. C'est le télégraphe, se lamente Victor Hugo, le misérable tortillement des affaires du monde ».


Notes et Bibliographie

À Narbonne trois sémaphores du télégraphe Chappe furent installés sur le donjon du Palais des Archevêques. Ils correspondaient respectivement aux relais de la ligne en provenance d'Avignon (à l'est) par Coursan, à celle qui filait sur Toulouse (à l'ouest) par Montredon et enfin à celle qui par Jonquières (au sud) gagnait Perpignan. Vers 1850, Hercule Birat, un populaire écrivain narbonnais, décrit le tapage nocturne du cers qui fouette « avec acharnement le Briarée blanc et noir, posté à perpétuelle demeure sur la tour séculaire de l'Archevêché pour y observer et transmettre pantominalement les signaux de l’État ». Toujours un peu sarcastique Birat, tout comme Victor Hogo au mont Saint-Michel, compare les silhouettes (dés)articulées des sémaphores, juchés « sur une des plus belles tours d'Europe », aux gesticulations carnavalesques d'un Briarée, ce géant aux cent bras de la mythologie grecque.

_ Georges Galfano, 1986, « Le Télégraphe Chappe dans l'Aude », ed. Arhiscom

_ Georges Galfano, 1990, « Histoire des Télégraphes et Téléphones dans l'Aude », ed. Arhiscom


À consulter sur Wikipédia : Télégraphe Chappe, Sémaphore (communication)...





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