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Passion d'automne / Lo Palumaire (Techniques de chasse au filet)





« En octobre, les migrateurs envahissaient le ciel. En bandes innombrables, les palombes passaient, passaient toujours quand le Nord soufflait fort. C'était une folie pour le jeune chasseur, tellement il y avait de gibier, là, à portée ou presque. Dans une après-midi, au-dessus de notre tête, des milliers d'oiseaux étaient passés, les fusils avaient tonné tant et plus, mais peu, finalement, rentraient dans la gibecière. Quelle belle journée quand même ! ». À l'automne de sa vie, Jean Rivière de Roquefort-des-Corbières vibre encore à l'évocation du plaisir de ces chasses. Aux grands rendez-vous d'octobre et de mars, la fièvre bleue s'empare des chasseurs, tout aussi grisés par les vents et les grands espaces que par ces grands vols qui, par vagues successives, montent de l'horizon.

« À Sent Miquèu / L'apèu » détaille un dicton béarnais. Dès le 29 septembre les chasseurs préparent les appeaux, car à la saint Michel s'observent déjà les premiers coups d'ailes. « À Sent Luc / Lo truc , A Sent Grat / Lo grand patac et A Sent Martrou / La flor », cette période qui s'étend du 18 octobre aux premiers jours de novembre, marquée par le « grand coup » (lo truc o lo patac) et « la fleur » (la flor ou le meilleur), correspond au pic migratoire, aux jours réputés comme les plus favorables. Dans le Sud-Ouest, la Saint Simon, le 28 octobre, est le jour royal pour la palombe, « Sent Simon / Rei de la Paloma ». Si les saints et la tradition religieuse rythment ce calendrier de chasse, ils n'en laissent pas moins la place à un esprit festif quelque peu iconoclaste : « A Saint Géraud / Faut pas abuser d'l'apéro », la rime, reconnaissons-le, bien que lourde, est quand même plus rafraîchissante qu'avec le banal « appeau » ! Mais si cette chasse d'automne se pratique toujours, sur le littoral audois, avec ferveur, il en est une autre, un peu oubliée aujourd'hui, qui traquait ces mêmes migrateurs, non plus au fusil, mais avec des filets. « Au passage de printemps, en mars, ajoute Jean Rivière, c'était plus sérieux. Les passistes étaient en place ». Cette remarque confirme bien ce que l'on peut encore observer dans les garrigues sur les vestiges lithiques des infrastructures de ces anciens dispositifs de chasse. Ils sont tous orientés en fonction de vols en provenance du sud-est. Ces dispositifs pour la capture des pigeons ramiers ou palombas sont appelés passas en occitan. La passa, de l'occitan passar « passer, franchir, traverser », désigne aussi le passage périodique des oiseaux, la passada, et la courte période de leur migration. Les dispositifs de cette chasse sont reconnaissables sur la bordure des plateaux littoraux à Leucate, à Bages ou à Gruissan, à l'ouest de Roquefort-des-Corbières et sur La Garrigue Haute entre La Palme et Sigean. Ces passes portent encore le nom des derniers utilisateurs : passa de Guillaumou, passa d'Eugène, passa de l'Antran...

Cette chasse de conséquence n'est pas conçue pour un solitaire, elle nécessitait tout un équipage et un lourd équipement. Il fallait d'abord construire deux cabanes en pierre sèche, l'espera o l'agachon, éloignées de plusieurs dizaines de mètres, entre lesquelles les chasseurs tiraient une rigole bordée par une ligne de pierres dressées sur champ, la parada (de l'oc. parar : « placer, apprêter »), contre laquelle on calait les filets. En avant de cette ligne, une large bande de pierraille, lo net (en oc. net : « net, propre »), était aplanie et nettoyée pour ne pas endommager les filets lors de leur rabattement. Ces grands filets verticaux, de 8 à 15 mètres de long, appelés pantièras o tirassas, fixés sur des mats de 5 à 8 mètres de haut, étaient maneuvrés, depuis les cabanes par un système de cordages et de gros ressorts à boudin à tension réglable. Toute la difficulté de ce système de chasse, tout son art, consistait à rabattre et canaliser les vols des palombes en direction des filets. Cette technique du rabat fut, dit-on, inventée au XIIe siècle par les moines de Roncevaux. La description sans doute la plus ancienne (1782) et la plus complète de cette chasse au filet nous est donnée par un basque, l'abbé Jean-François Rozier. Son récit recoupe des témoignages recueillis chez nous comme ce fameux couloir de la peur de part et d'autre duquel les rabatteurs agitent des étendards de toile blanche, crient, sifflent, soufflent dans des trompes pour « conduire des troupes entières de ces oiseaux craintifs » dans l'axe des filets. Mais il cite aussi des pratiques qui semblent plus spécifiques de la tradition du Sud-Ouest comme celle qui consiste à infléchir les vols au ras du sol, en lançant sur les palombes paniquées, « une palette de bois blanchie qu'on appelle épervier [...] et ainsi les forcer à donner dans les filets ».

Mais toutes ces chasses, malgré les moyens mis en œuvre, ne sont pas aussi fructueuses qu'il paraît. « La palombe c'est 11 mois d'attente, 1 mois de déception, pour 1 jour de bonheur », paraula d'un vielh palumaire.

Notes et Bibliographie

Ces chasses au filet furent interdites dans l'Aude vers la fin des années 1940. Cette pratique ne fut pas, comme on le croit, importée tardivement dans notre département. « Les chasses passes des pigeons Sauvaiges et autres oizeaux » figure dès 1657, et probablement bien avant, parmi les privilèges accordés par l'archevêque de Narbonne aux habitants de Peyriac-de-Mer. La région d'origine de ces chasses est sans aucun doute le Sud-Ouest. Les Basques revendiquent son invention au XIIe siècle, mais si l'on en croit Serge Lardos : « C'est à partir des années 1850-1860 que cette chasse s'étendit de sa région d'origine (Sud-Garonne, secteur de Nérac, Casteljaloux…) au reste des trois départements : Gironde, Landes et Haute-Garonne puis au Gers ». L'axe migratoire principal passe chez los Bordalès (par l'Aquitaine), il est emprunté par 90 % des palombes. Cela explique probablement la primauté et la vigueur de cette tradition dans le Sud-Ouest, une vraie religion.

_ Pierre Rivière, 2016, « Mon Vilatge », éd. Association Roquefort et Patrimoine

_ Jean-François Rozier, 1782, « Observations et mémoires sur la physique, sur l'histoire naturelle et
sur les arts et métiers »
, t.XX, pp. 306-312

_ Serge Lardos, 2007, « La Palombe et ses chasses », éd. Artémis

_ Jean-Louis Guidez, 2014, « Les Palombières de Klaus », roman, éd. des Régionalismes

Et pour les inconditionnels, le magasine du Paloumayre : « Palombes et tradition », Edipassion,
Casteljaloux





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