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Le tuyau médiéval / L'aqueduc des sources (Fontfroide, Narbonne)




Les touristes qui empruntent la D613, en direction de Fontfroide par Montredon, sont étonnés de découvrir, de part et d'autre de la route, à hauteur des ruines du château de Saint-Pierre-des-Clars, des alignements de plusieurs dizaines de cabanes au toit voûté. Ces montjòias comme on les appelait autrefois dans le pays, en balisant un itinéraire « consacrent bien un souvenir », non pas celui d'un pèlerinage ou d'une vieille frontière oubliée, mais du cheminement souterrain de l'eau. Il subsiste encore une cinquantaine de ces regards en pierre, à la couverture hémicylindrique, sur les 163 que comptait cet aqueduc de plus de huit kilomètres de long qui alimente Narbonne en eau de la fin du moyen-âge jusqu'à l'époque moderne.

Suite aux graves inondations du début du XIVe siècle, le lit du fleuve Aude déserte la ville de Narbonne. Les puits, les citernes, les sources de proximité et les ruisseaux comme La Mayral ne suffisent plus à alimenter la ville. La situation devient préoccupante. Les consuls portent leur attention sur un ensemble de trois sources, nichées dans les terminaisons calcaires du massif de Fontfroide, susceptibles de fournir une eau de qualité et en quantité suffisante, avec leur débit potentiel de 300 m³/jour, pour envisager la construction d'un aqueduc sur plusieurs kilomètres. Dès 1412, ils concluent un pacte avec les seigneurs de Montredon et d'Ornaisons, propriétaires des terrains, puis finalisent un accord définitif en 1495. Ces sources, dites du Duc, au lieu-dit Les Gourgues, de l'Auriolle et de Saint-Pierre, un kilomètre plus en aval, sont canalisées dans des tuyaux en terre cuite, étanchéisés à la poix, jusqu'à un réservoir de réunion, situé au pied du Castellas. À partir de là, l'eau, toujours par gravité, est conduite jusqu'au rempart de Narbonne en suivant le cours du Veyret. Elle alimente uniquement des lieux publics : « La première conduite, près de la porte du réservoir, est destinée pour donner de l'eau à l'Hôpital. La seconde pour la Fontaine de Bourg (place des Quatre Fontaines) et la dernière pour fournir à la Fontaine de Cité (place aux Herbes) ».

Ce système de conduite souterraine à faible pente, fragile et assez mal conçu, connaît bien des aléas au cours des siècles. Il fallut rapidement mettre en place, puis multiplier, les regards pour remédier à l'entartrage des tuyaux et aux obstructions fréquentes causées par les sables et le gravier. En plus de cet entretien fréquent et régulier, les fontainiers sont confrontés à d'importants dégâts générés par les crues du Veyret, le gel, les accidents et les malveillances. Au XVIIIe siècle, face à l'incapacité des édiles de moderniser un système vieillissant, les réparations de fortune se généralisent et les coûts d'entretien flambent. Mais ces installations indispensables sont maintenues, bon gré mal gré, durant tout le siècle suivant. Elles sont définitivement supplantées au début du XXe siècle par les eaux de la nappe souterraine puisées aux abords de Férioles et de Moussoulens. En 1927, les sources dites de Fontfroide, qui alimentent Narbonne depuis plus de quatre siècles, sont revendues par la ville à la commune de Montredon.

Le promeneur d'aujourd'hui qui désire faire un retour aux sources doit suivre les alignements des montjòias. Ces repères conduisent immanquablement de part et d'autre des berges du Veyret vers les trois sources. Ils jalonnent d'étroits vallons, plantés en vignes, qui s'étalent au pied d'escarpements rocheux couverts de garrigues ouvertes. L'eau qui circule au travers du karst extrêmement faillé du massif de Fontfroide réapparaît au contact des grès du Sénonien (Crétacé sup.) avec un faible débit d'étiage de l'ordre de 1 à 2 l/s. Ces rendements sont jugés insuffisants pour les grands consommateurs d'eau que nous sommes devenus. Et c'est peut-être tant mieux, n'en déplaise aux nostalgiques des grands travaux, du labeur des Romains et des grandes abbayes. Car la source c'est infiniment plus que de l'eau captée, qu'un vulgaire ou précieux liquide consommable. « Elle garde dans son ombre le mystère de ses secrets », mystère de son cheminement dans les noires profondeurs de la montagne, mystères de tous ces visages qui se sont penchés sur elle… « visages anciens […] qui avaient frémi au contact de ce miroir froid et changeant ». Œil pensif.  Dans les zones hautes et sauvages du Rec, In Vetreto comme le désigne un vieux document de l'an mille, la voix du monde redevient plus sereine et sous les ombrages du duc les lieux sont rendus au silence ou au seul frémissement de l'eau. « Petite Fontaine, mille ans de joncs, mille ans de vent, mille ans de visages, mille ans d'oiseaux ».

Notes et Bibliographie

Le secteur dit « ruines du Castellas et berges du Veyret » est, pour raison patrimoniale (château, aqueduc, grottes…), site inscrit depuis 1943. Pour le préserver d'éventuelles extensions de l'agglomération de Narbonne, sa protection a été renforcée par un classement en zone naturelle d'intérêt écologique (ZNIEFF). La grotte de la Rata Panada (chauve-souris en occitan), inscrite au réseau Natura 2000, est depuis longtemps connue comme un gite de reproduction et d'hibernation très apprécié des chiroptères. Les autres cavités du massif ont toutes une histoire enracinée dans le paysage : Trou du Vivier et son cheval drac, Trou de la Femme morte, Trou des Aigues… autant d'ossuaires préhistoriques et de supports de légendes.

Tant que la mémoire subsiste, chaque point du territoire, de par son caractère original ou qualitatif, offre une résistance active à l'uniformisation.

Un petit ouvrage incontournable sur l'histoire de l'alimentation en eau de Narbonne

_ Pierre Aussel, Gilbert Gaudin, Jack Jalaguier, Marcel Pourcher, 2013 « L'eau des Narbonnais /
Histoire »
, Association Le Garri

Les citations sur les sources et fontaines sont de

_ Max Rouquette, 1995, « Vert Paradis », éd. Max Chaleil, Paris





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